Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

EXIL LITTÉRATURES DE L'

James Joyce - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

James Joyce

On connaît ce cliché de James Joyce qui le montre négligemment appuyé sur une rambarde à Trieste, la mer à ses pieds. Faut-il que la stature de ce géant de l'écriture moderne ait à ce point marqué le xxe siècle pour que notre époque apparaisse par excellence comme le temps de l'exil ? Sont-ce là nos « Lumières » déclinantes ? Notre « Humanisme » à bout de souffle ? Et surtout est-ce bien, comme on l'a dit, état d'âme ? posture ? façon d'être ? Joyce, qui avait volontairement quitté l'Irlande à tout jamais, faisait de l'exil une arme d'écrivain et une manière de se réveiller de ce qu'il appelait, par la bouche de Stephen Dedalus, « le cauchemar de l'Histoire ». Piètre défense, vraiment, pour tous ceux qui, penauds, voûtés, bâillonnés, ont dû franchir les frontières, chassés par l'Autorité, vomis par l'Histoire ! En tout cas, elle semble bien révolue l'heure du cabinet d'étude, du voyage autour de sa chambre, de la tour d'ivoire : l'écrivain, au xxe siècle, est embarqué sur un océan tumultueux ; pris dans les tourbillons, il en partage tous les remous, il en subit tous les naufrages. Lové dans sa coquille d'encre qui le ballotte et lui soulève la voix, il s'interroge sur le temps et la place qui lui échoit : qui est-il ? d'où est-il ? qu'écrit-il ? et pour qui ? Un exemple, parmi bien d'autres, éclaire notre propos. Qui est Paul Celan ? Identifié par les dictionnaires comme écrivain autrichien, c'est un Juif né en Roumanie, de langue et d'écriture allemandes, vivant à Paris avec un passeport français, ayant perdu dans la nuit et le brouillard nazis son milieu d'origine, avant de perdre son lieu de naissance, Czernowitz, devenu soviétique. Symbole superlatif de l'écrivain exilé – Kafka, lui, se contentait d'être tchèque de langue allemande –, Celan s'attachera, dans une poésie qui met à la torture ses traducteurs tant sont nombreuses les voix qui la traversent, à communiquer aux hommes ses visions abyssales : « Love-toi, monde : / la morte coquille au bout de sa nage / sonnera ici le glas. » Ou encore cette image d'une main tendue au-dessus des barrières : « Ne sommes-nous pas debout / sous un même vent traversier ? / Nous sommes étrangers. »

Qu'en est-il du continent latino-américain, du monde méditerranéen, des écritures diasporiques, des clameurs sous rideau de fer ? Autant d'expériences, en vérité, où se dessine la quête essentielle de l'« étrange-je » (selon Edmond Jabès), qui soulève sous nos pas les voix majeures, les cris aigus de notre temps.

Écritures nomades

Loin de la Grande Patrie – l'Espagne –, les écrivains d'Amérique de langue espagnole n'ont jamais vraiment redouté l'exil. En Argentine, par exemple, « l'exil des hommes de lettres, écrit Juan José Saer, est presque une tradition », quoique, dans le même temps, il confesse : « Aucun exil n'est volontaire. » Pourtant, contrairement aux bannis espagnols que la victoire franquiste chassa de leur pays et qui ressentirent cette fuite en vaincus – Els Vençuts (1969) est le titre emblématique de l'excellent roman-témoignage du Catalan Xavier Benguerel –, comme un déchirement, une plaie vive, un écartement tragique de l'histoire (Antonio Machado en mourra à Collioure en 1939), les Latino-Américains n'ont dans l'ensemble jamais eu beaucoup de mal – ou encore ce malheur-là n'est pas de même nature – à quitter leur pays, dès lors qu'ils rejoignaient la vaste hispanité, celle dont le Mexicain Carlos Fuentes a fait la description aussi précise qu'ironique, plus culturelle que géographique, et d'une rare vérité dans la démystification des racines et des mythes, en son oeuvre majeure : [...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Rennes-II-Haute-Bretagne

Classification

Médias

James Joyce - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

James Joyce

Nedim Gürsel - crédits : Sophie Bassouls/ Sygma/ Getty Images

Nedim Gürsel

Vladimir Nabokov - crédits : Walter Mori/ Mondadori Portfolio/ Getty Images

Vladimir Nabokov

Autres références

  • CORRESPONDANCE DE HANNAH ARENDT

    • Écrit par
    • 1 565 mots

    Autant la réception de Hannah Arendt en France a été tardive, hésitante, voire rétive, autant la reconnaissance de sa stature de penseur du politique et de philosophe va bon train. La publication, en 1995 et 1996 respectivement, de sa correspondance avec deux de ses amis les plus proches – le philosophe...

  • DARWICH MAHMOUD (1941-2008)

    • Écrit par
    • 1 566 mots
    • 1 média
    La découverte de l'Autre, l'exil à l'intérieur d'un pays qui n'est plus le sien et l'engagement dans la vie politique marqueront profondément les premières œuvres de Mahmoud Darwich. Six recueils de facture lyrique imprégnés d'un romantisme prononcé vont d'abord l'imposer comme poète révolutionnaire...
  • L'IGNORANCE (M. Kundera)

    • Écrit par
    • 942 mots

    « Du vraisemblable plaqué sur de l'oublié » : c'est ainsi que Josef, un des personnages du roman de Milan Kundera, conclut l'interprétation d'un souvenir. Que l'on retrouve sous cette expression celle du Rire de Bergson – « du mécanique plaqué sur du vivant » – donne...

  • KRACAUER SIEGFRIED (1889-1966)

    • Écrit par
    • 1 208 mots

    Tardivement connue en France, bien que la traduction française par Clara Malraux de son roman Ginster (1928, Genêt) soit parue dès 1933, l'œuvre de Siegfried Kracauer a été profondément marquée par les grands bouleversements du xxe siècle. Figure de proue de la République de Weimar...

  • Afficher les 15 références