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EXIL LITTÉRATURES DE L'

Exil et mémoire

Franchissons l'océan et touchons aux rives de la Méditerranée. Nous trouvons là une écriture qui entretient avec la langue française des rapports de fascination-répulsion.

Nedim Gürsel - crédits : Sophie Bassouls/ Sygma/ Getty Images

Nedim Gürsel

Au célèbre « la langue française est ma patrie » d'un Gabriel Audisio, entraînant avec lui la totalité des écrivains pieds-noirs – d'Elissa Rhaïs à Albert Memmi – farouchement identifiés à la France par la langue, répond le non moins fameux « la langue française est mon exil » de Malek Haddad et avec lui de bon nombre de francophones des ex-colonies. Que nous sommes loin de l'allégresse joycienne de l'exilé emportant sa langue en guise de territoire – le génial landuage ! Mieux qu'aucun autre, sans doute, l'écrivain turc Nedim Gürsel saura le dire avec « les mots de l'exil » : « Je suis traversé dans ma vie quotidienne par la langue française qui me hante ; [...] ce lieu d'exil par excellence commence à structurer mes phrases [...] alors que je continue d'écrire en turc. » L'écrivain kabyle Nabile Farès se voit, dans son exil, comme « un passager de l'Occident », et s'il cherche à retrouver son identité par l'écriture il rédige Mémoire de l'absent (1974). Il est vrai qu'en arabe Occident se dit Maghreb ou territoire de l'exil, celui-là même où l'Islam s'éloigna du lieu de sa naissance.

La diaspora juive venue d'Orient situe son exil à une autre échelle, celle de l'identité : Albert Cohen, natif de Corfou, éduqué à Marseille, avocat à Genève, inventera pour le xxe siècle la métaphore absolue où les écrivains juifs de langue française se reconnaîtront, en installant sous la demeure somptueusement suisse et chrétienne de Solal (1930) une synagogue cryptique, peuplée d'un ghetto flamboyant et burlesque. Albert Memmi distinguera plus simplement – et avec lui la jeune et prolifique génération sépharade – le monde de l'intérieur (la famille, la tradition, la parole juive) et celui de l'extérieur (l'école, la culture occidentale, l'ascension sociale).

L'ascension par la culture est un trait pertinent de maints romans nés de l'exil : il caractérise les écrivains maghrébins, certes, mais aussi un grand pan de la littérature yiddish, à commencer par ce Manoir (1967), chef-d'œuvre d'Isaac Bashévis Singer, où l'on passe en une génération d'un shtetl – le village misérable et inculte – à la fastueuse Varsovie de la réussite. À l'image de la diaspora juive, la littérature yiddish est à la fois une et multiple, mais un seul trait la caractérise en son essence : la survivance. Aussi est-elle hantée par le destin collectif où l'intolérable et le tragique doivent se farder en écriture toute résonnante d'humour et de dérisoire. Elle est le témoignage d'un peuple morcelé qui, loin de tout territoire, hors de toute assise, proclame la force supérieure d'une âme résistante et souveraine.

Vladimir Nabokov - crédits : Walter Mori/ Mondadori Portfolio/ Getty Images

Vladimir Nabokov

Pour ceux qui ont déserté le Russie et l'Europe centrale en 1917, comme Vladimir Nabokov, ou un peu plus tard, dans les soubresauts des divers totalitarismes, l'exil apparaît, certes, comme une voie de salut. André Siniavski saura le célébrer, lui qui, délivré de la nostalgie par le séjour en prison, voit l'émigration comme « avant tout un endroit sur terre où l'on peut sans se cacher écrire ce que l'on veut et comme on veut ». Mais qui ne se rappelle l'amertume de Milan Kundera reliant d'un seul jet la Tchécoslovaquie à Rennes pour s'isoler en haut de la plus haute tour de la ville et regarder « à l'est, du côté de Prague » ? Attitude symbolique de l'exilé qui sait, comme Moïse, que la Terre promise lui est interdite, et qui s'en console par une écriture carnavalesque qui noie l'évocation mélancolique de son pays[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Rennes-II-Haute-Bretagne

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Médias

James Joyce - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

James Joyce

Nedim Gürsel - crédits : Sophie Bassouls/ Sygma/ Getty Images

Nedim Gürsel

Vladimir Nabokov - crédits : Walter Mori/ Mondadori Portfolio/ Getty Images

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