SOVIÉTIQUES LITTÉRATURES DES NATIONALITÉS
On appelait littératures « nationales » ou littératures « républicaines » — formules également impropres bien qu'elles aient été consacrées —, les littératures soviétiques de langue non russe. La préservation, l'encouragement, parfois l'« invention » (au sens étymologique) de ces littératures ont joué un rôle capital dans la politique de rassemblement des nationalités.
Sauf les littératures baltiques, qui ont gardé l'alphabet latin, et l'arménien ainsi que le géorgien, qui conservent leurs graphies historiques, toutes s'écrivent en caractères russes, certaines après de nombreux avatars : ainsi l'abkhaze, passée du cyrillique à l'« alphabet analytique » de Marr, à l'alphabet latin et à l'alphabet géorgien, pour revenir en 1954 à l'alphabet russe.
Ces littératures sont d'âges très divers. Plusieurs remontent beaucoup plus haut que la littérature russe : la géorgienne, l'arménienne et la tadjique, celle-ci rejeton des lettres persanes. D'autres, l'ukrainienne, la biélorusse, ont à peu près la même ancienneté. La véritable éclosion des littératures baltiques est liée au mouvement européen de Risorgimento du xixe siècle. Les littératures de la Sibérie, du Grand Nord et de l'Extrême-Orient ont été formées dans les années 1930, du moins en tant que littératures écrites. Et, selon la diffusion de la langue, l'audience va de six cents habitants (littérature youkaguire) à la cinquantaine de millions (littérature ukrainienne).
Concernant les tendances générales, on peut distinguer trois périodes. Jusque vers les années 1930, l'influence de Gorki pour la prose et celle de Maïakovski pour la poésie sont très nettes. Les modèles russes du réalisme socialiste dominent encore pendant les deux décennies suivantes. À partir des années 1950, parallèlement au mouvement d'émancipation qui se déclenche dans la littérature russe, un développement propre s'amorce dans les littératures « nationales ».
Dans les années 1970, les littératures « nationales » deviennent extrêmement vivantes et occupent une place de plus en plus grande dans le fonds culturel commun de l'Union soviétique. On y décèle alors une double tendance : d'une part, la recherche des sources nationales, de l'histoire nationale (la littérature « paysanne » en Russie mène une recherche similaire) et, d'autre part, une certaine russification. En fait, les deux aspects peuvent cohabiter : un écrivain comme T. Aïtmatov s'attache à retrouver la culture des peuples de la steppe dans un roman écrit en russe et influencé par la littérature russe ; F. Iskander, qui donne dans Sandro de Tchèguème un tableau coloré de la Géorgie traditionnelle, n'écrit qu'en russe, tout comme l'excellent poète kazakhe O. Souleïmenov, le Coréen Kim ou Poulatov, l'écrivain de Boukhara. Il est vrai que l'usage du russe est une condition indispensable pour trouver un auditoire à l'intérieur, mais aussi à l'extérieur de l'U.R.S.S.
Certains de ces écrivains ne doivent leur notoriété qu'à l'exotisme de leurs origines et de leurs œuvres, comme l'écrivain tchoukche J. Rytkheou. D'autres, auteurs de talent, sont des exceptions dans des littératures de qualité moyenne, comme le Kirghize Aïtmatov ou le Biélorusse V. Bykov. Enfin, d'autres littératures font preuve d'une vitalité remarquable : la géorgienne avec N. Doumbadze et O. Tchiladze, l'arménienne avec G. Matevossian, les littératures baltes, qui doivent bien plus à la littérature occidentale qu'à la littérature russe, avec des écrivains comme J. Smuul, Kross, Vetemaa en Estonie, M. Sluskis et le grand poète Miezelaïtis en Lituanie. La littérature kazakhe connaît un essor remarquable : à Aouézov (1897-1961), dont[...]
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Écrit par
- Jean CATHALA : journaliste
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