JUDITH LIVRE DE
Figurant parmi les sept livres bibliques deutérocanoniques qui ne faisaient pas partie du canon hébraïque des Écritures, le livre dit de Judith n'est entré dans le canon des chrétiens qu'à l'époque patristique, à la fin du ier siècle. Son original hébreu est perdu ; il ne reste que des versions grecques divergentes et le texte est mal fixé. Le livre est une leçon théologique qui expose comment le peuple juif, faible et peu nombreux en face de la puissante armée assyrienne de Nabuchodonosor, triomphera grâce à la ruse d'une jeune veuve. Celle-ci, belle, sage et pieuse, devient l'instrument de Dieu en séduisant, puis en assassinant le général assyrien Holopherne. La figure de l'héroïne brandissant la tête coupée de l'ennemi exprime en un tableau saisissant le triomphe d'Israël, peuple élu et sûr de son salut. L'auteur a pris tant de liberté à l'égard de l'histoire et de la géographie, en faisant régner Nabuchodonosor sur les Assyriens alors que l'Exil permis par Cyrus semble chose accomplie, en donnant un nom inexistant (Béthulie) à la ville assiégée, qu'apparemment l'exactitude en matière de temps et d'espace n'est pas son propos. Le genre littéraire du Livre de Judith est extrêmement proche, par son style et sa symbolique, de celui des apocalypses : Holopherne est une synthèse des puissances du Mal, tandis que Judith, c'est-à-dire la Juive, est un symbole surdéterminé, représentant à la fois le peuple juif, le parti de Dieu, la femme par l'intermédiaire de laquelle le salut arrive. Ces thèmes sont constants dans la théologie juive et chrétienne. Le livre a été écrit en Palestine à la fin du ~ iie siècle ou au début du ~ ier siècle, époque à laquelle fleurit la littérature apocalyptique.
À l'intention édifiante du livre saint, l'iconographie répondra, au-delà de quelques siècles, en trahissant un propos tout différent. Presque constamment absente des arts roman et gothique, Judith multiplie ses apparitions dans l'art européen, de la Renaissance à nos jours, dans une perspective plus psychanalytique qu'apocalyptique : fantasme obsédant de la femme qui libère en décapitant (c'est-à-dire en châtrant) ; que la femme ait chez Botticelli la délicatesse gracile qui rend plus frappant encore le maniement du cimeterre, ou chez Cranach la sensualité plantureuse qui accuse le charme de son détachement rêveur, ou chez Gustav Klimt la sophistication désirable pour incarner une héroïne de Sacher-Masoch. Nul ne parlera plus sérieusement et plus poétiquement aujourd'hui de ce « complexe de Judith » que Michel Leiris dans L'Âge d'homme.
Dans la littérature, Judith n'incarne pas exactement le même fantasme, pour la simple raison peut-être qu'Holopherne est nécessairement présent, par bien plus que son chef tranché, dans le déroulement narratif de la fiction. La très parisienne Judith de Bernstein (1922), la dramatique Judith de Hebbel (1839), l'antimystique Judith de Giraudoux (1931), dans des variations bien diverses, font de la veuve biblique une vierge qui succombe à la tentation d'Holopherne pour le tuer ensuite par amour et non par devoir. Il est remarquable que ce soit Giraudoux qui ait su, en faisant d'Holopherne le héros et le héraut d'un humanisme pleinement heureux dans l'athéisme, rendre à la figure et au drame de Judith une dimension spirituelle et religieuse qui tendait à disparaître tout à fait du mythe.
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Écrit par
- Marie GUILLET : auteur
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