ECCLÉSIASTE LIVRE DE L'
L'ouvrage que les Bibles chrétiennes appellent l'Ecclésiaste est placé dans celles-ci après les Proverbes et dans les Bibles juives parmi les Cinq Rouleaux (Megilloth), parce qu'il est lu à la fête des Tabernacles. Son nom hébreu est Qoheleth, participe féminin appliqué à l'auteur : « le rassembleur » (de Qahal, l'assemblée). De là vient la traduction grecque Ekklèsiastès. Il est rédigé en un hébreu très marqué d'aramaïsmes et proche de l'hébreu talmudique. La version grecque est fort servile. Il en existe trois versions latines, dont une antérieure à Jérôme, très utile par sa fidélité. Bien que tardif et fortement discuté, à cause de son contenu, par les rabbins du ier siècle, le livre n'a jamais cessé d'appartenir au « canon » des livres saints des juifs et des chrétiens. Il a été abondamment commenté par les Pères de l'Église ancienne, ainsi que par les auteurs du Moyen Âge latin. Il fut toujours très estimé des rabbins.
Il se présente comme l'œuvre de Salomon, le plus sage des rois, ce qui fut admis par l'ensemble des Pères, des commentateurs et des exégètes, même protestants, jusqu'au xviiie siècle. Puis la critique mit en doute cette origine, à cause de la langue tardive, de la syntaxe aramaïsante, du contenu très « philosophique », enfin de l'aspect hellénistique du livre. On en est venu à le dater du ~ iiie siècle, et plutôt de la seconde moitié, probablement sous Antiochos le Grand (~ 223-~ 187). L'aspect « salomonien » de l'œuvre est une fiction littéraire utilisée par l'auteur pour donner du poids à ses idées à une époque où il n'y a plus de roi en Israël. Le vrai problème est d'apprécier le contenu du livre. Son thème fondamental tourne autour de la question de savoir si la vie vaut la peine d'être vécue. La réponse est négative, car « tout est vanité » (exactement « néant » : hébèl). Elle est développée en cinq arguments tirés de l'expérience humaine : Qoheleth a tout expérimenté, sagesse, plaisirs, richesses — tout est néant ; l'homme est livré aux événements, à l'injustice, à la mort, tout comme les bêtes, et c'est Dieu qui conduit les événements, l'homme n'y pouvant rien ; l'homme est soumis à l'injustice, au travail, aux nécessités de la vie en commun — il lui faut jouir de son modeste bien-être, quand il en a ; pour l'homme, la vie est imprévisible, mais doit être prise au sérieux, sans oublier que les efforts humains sont vains et la mort inévitable ; l'effort ne garantit pas le succès, la sagesse ne sert pas à grand-chose, il faut surveiller ses paroles et vivre dans le présent. La conclusion, c'est qu'il convient de jouir de la vie sous le regard de Dieu, avant que ne viennent la vieillesse et la mort.
Cette doctrine manifeste un fort contraste entre un pessimisme absolu et la croyance en la Providence divine. Au xviiie siècle, plusieurs auteurs, tels Eichhorn et Herder, supposaient qu'il s'agissait d'un dialogue entre un maître et son disciple posant des objections. L'idée est venue ensuite d'une pluralité d'auteurs successifs. L'hypothèse a pris sa forme classique avec E. Podechard en 1912 : un texte de base dû au Qoheleth, totalement pessimiste, avait été corrigé ensuite par un « sage » (hakam), puis par un « pieux » (ḥasid), enfin par le présentateur de l'ouvrage. Cette thèse eut un grand succès parmi les spécialistes. Pourtant, elle est trop compliquée. Il vaut mieux considérer qu'on a affaire à un ouvrage unique, rédigé selon le genre de la Diatribè, utilisée par les stoïciens et les cyniques pour l'exposé dialectique de leurs idées. Ce genre laisse apparaître des contradictions profondes dans l'exposé, mais souligne la complexité[...]
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Écrit par
- Jean HADOT : professeur à l'Université libre de Bruxelles
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SAGESSE LIVRES DE
- Écrit par Jean HADOT
- 4 604 mots
Le courant contestataire s'exprime encore dans le livre de l'Ecclésiaste. Ce mot est la traduction du grec ecclesiastès, qui rend le mot hébreu qohèlet, « celui qui rassemble ». Le titre est : « Paroles de Qohèlet, fils de David, roi dans Jérusalem ». Ce rattachement à Salomon est évidemment...