LIVRE TOURNOIS
Les mutations
Jusqu'à la fin du xviiie siècle, le régime monétaire reste fondé sur un bimétallisme et un dualisme qui autorisent les mutations dans la tradition du droit de seigneuriage féodal. Particulièrement impopulaires, ces manipulations du cours des espèces par l'État nuisent autant au crédit de celui-ci qu'à la bonne fin des règlements entre créanciers et débiteurs. Chaque agent économique peut redouter qu'un décret arbitraire du souverain déprécie subitement ses créances.
Le cours commercial évolue en fonction des découvertes, des coûts d'exploitation, des gains de productivité dans l'industrie, etc., comme pour n'importe quelle autre activité économique. Ainsi le gros d'argent de 1266 est à la taille de 56 au marc ; le roi achète à quiconque en détient le marc à 54 sols tournois et le revend monnayé 58 sols, la différence couvrant le brassage et le seigneuriage. Mais, si le cours de l'argent s'élève sur le marché, par exemple à 65 ou 75 sols, le roi ne peut pas maintenir inchangés le tarif d'achat et le cours légal. Il doit les hausser dans une proportion suffisante pour que les afflux de métal à l'Hôtel des monnaies ne s'interrompent pas et que le nombre de pièces mises en circulation ne diminue pas : c'est une mutation. Au contraire, quand le cours commercial des métaux baisse, il est possible de revenir à une bonne monnaie dont le cours légal coïncide avec le cours commercial net des frais et des taxes.
Il en va de même en régime bimétalliste quand le rapport entre l'or et l'argent se modifie, par exemple en raison des variations de la production ou des offres relatives. Toute augmentation de la quantité disponible d'un métal par rapport à l'autre en déprécie le cours commercial. Si le rapport résultant des cours légaux reste inchangé, le métal déprécié est surévalué ; l'autre, dont l'offre est inchangée, se trouve relativement sous-évalué. Le rapport légal des métaux doit donc être révisé en conséquence, sous peine de voir celui qui est sous-évalué disparaître de la circulation monétaire (il est alors généralement fondu et transformé en orfèvrerie).
On parlera de mutation réelle, c'est-à-dire d'affaiblissement (ou au contraire de renforcement) de l'unité de compte si le rapport entre l'unité de règlement monétaire et l'étalon est modifié, le rapport entre l'unité monétaire et l'unité de compte restant inchangé. En termes modernes, l'équivalent est une dévaluation ou une réévaluation de l'unité de compte nationale par rapport aux unités de compte étrangères. Il y a aussi mutation réelle si le rapport légal entre l'or et l'argent s'écarte délibérément du rapport commercial entre les deux métaux. Dans certains cas, l'État peut prononcer le retrait du cours légal, c'est-à-dire le décri d'un type donné d'espèce circulante, et ordonner la refonte de pièces existantes. Ces opérations s'accompagnent également d'une mutation réelle.
On parlera de mutation nominale, c'est-à-dire de rehaussement (ou au contraire de diminution) de l'unité monétaire si le rapport entre l'unité monétaire et l'unité de compte est modifié, le rapport entre l'unité monétaire et l'étalon (la teneur en métal fin) restant inchangé. Cette opération produit simultanément une dévaluation (comme dans le cas de l'affaiblissement de l'unité de compte) et une inflation, c'est-à-dire une multiplication de la quantité d'unités monétaires en termes d'unités de compte. Par exemple, il suffit à l'État de proclamer par ordonnance que le gros d'argent, qui circulait pour 12 deniers ou 1 sol jusqu'ici, vaudra désormais 15 deniers, sans rien changer au poids ni au titre de la pièce correspondante. Cette opération[...]
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Écrit par
- Dominique LACOUE-LABARTHE : professeur de sciences économiques à l'université de Bordeaux-IV-Montesquieu, directeur du Groupe de recherche en analyse et politique économiques, unité mixte du C.N.R.S. 5113
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