LIVRE TOURNOIS
La recherche d'une monnaie stable
La répétition trop fréquente des mutations engendre évidemment une instabilité du système des paiements et de l'économie tout entière. Ainsi, de 1330 à 1360, on relève pas moins de 55 mutations de toutes sortes, chacune s'accompagnant d'une tentative de restauration de la bonne monnaie. La stabilisation ne commence à se produire qu'à partir de 1514 avec la création par Louis XII du teston, une monnaie lourde d'argent au cours de 10 sols qui correspond au retour d'une certaine prospérité économique.
Louis XIII fait procéder à un décri (décision de rappel des pièces démonétisées, et remboursables) et à une refonte générale des monnaies existantes en 1641. La nouvelle base des espèces est le louis d'or à 23/24 de fin qui a cours pour 10 livres ainsi que l'écu blanc d'argent d'une valeur nominale de 3 livres. On multiplie le nombre des pièces de plus faible valeur et on augmente aussi la frappe de monnaies de cuivre (liards). L'instabilité réapparaît à la fin du règne de Louis XIV où le cours légal du louis et celui de l'écu sont à plusieurs reprises modifiés. Au gré de l'afflux des métaux, l'argent et l'or disparaissent alternativement de la circulation, parfois en même temps, et il faut alors user d'expédients comme le décri et la refonte, l'interdiction des espèces étrangères ou l'instauration de tarifs incitant à la fonte des vaisselles et des bijoux, etc.
Fondamentalement, l'instabilité de la monnaie découle de l'évolution du rapport de l'or à l'argent au cours de cette période. En 1602, il est encore de 11,87 en France, à un moment où le monnayage de l'argent a déjà quintuplé par rapport au siècle précédent. L'argent supplante l'or, souverain jusque vers 1550. Puis à partir de 1614, le rapport s'élève brusquement à 13,73, atteignant 14,49 en 1641, et même 15,98 en 1662. C'est bien le signe que l'argent manque (le chômage des ateliers monétaires en témoigne), parce qu'il est sous-évalué et que l'or est surévalué, ce qui permet de retenir ce dernier dans le pays.
La disette de métal est parfois telle qu'on en vient à imprimer des substituts aux pièces manquantes comme, de 1701 à 1706, les billets de monnaie. Après l'expérience de la monnaie de papier du système de Law pendant la Régence et le début du règne de Louis XV, de 1716 à 1720, la dernière grande mutation nominale intervient en 1726 avec une refonte générale des espèces : le louis d'or est allégé en poids et court pour 24 livres, l'écu d'argent est porté à 6 livres. Ce système dure jusqu'à la Révolution avec un dernier ajustement en octobre 1785 (sous le ministère Calonne) du rapport de l'or à l'argent qui est fixé légalement à 15,5. C'est la dernière mutation réelle de l'Ancien Régime.
À partir de 1726, quand ce rapport est fixé à 14 5/8 pour 1, la valeur commerciale de l'argent baisse, en raison des progrès continus de sa production, ininterrompus depuis le xvie siècle. En conséquence, l'or s'apprécie et on souhaite capter, par le commerce extérieur bénéficiaire avec le Portugal, une partie de l'or brésilien afin d'en rééquilibrer la circulation par rapport à celle de l'argent. On abaisse donc le poids en or fin du louis (de 7,44 à 6,96 grammes après conversion en unités modernes), laissant sa valeur monétaire en unités de compte inchangée (le louis est toujours au cours légal de 24 livres tournois). Comme le poids en argent fin de l'écu de 6 livres reste, depuis 1726, fixé à 27 grammes, il y a bien renforcement (réévaluation) de la livre tournois en or, son poids théorique baissant de 0,31 gramme à 0,29 gramme, tandis que son contenu légal en argent reste à 4,50 grammes. Un tel rapport de 15,5 est[...]
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Écrit par
- Dominique LACOUE-LABARTHE : professeur de sciences économiques à l'université de Bordeaux-IV-Montesquieu, directeur du Groupe de recherche en analyse et politique économiques, unité mixte du C.N.R.S. 5113
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