EMBLÈMES LIVRES D'
L'emblème, concrétisation spectaculaire et durable d'un langage symbolique qui s'élabore au xve siècle sur le modèle de l'exégèse allégorique antique, des « moralisations » des Métamorphoses d'Ovide, des Hieroglyphica d'Horapollon (où les hiéroglyphes égyptiens sont interprétés comme des idéogrammes), reçoit un nom et la forme d'un genre quand paraît à Augsbourg, en 1531, l'Emblematum liber d'André Alciat. Dans ce recueil d'épigrammes latines, traduites pour partie de l'Anthologie grecque, une res (objet, plante, animal, épisode mythologique ou historique...) est dotée d'un sens précis, garanti par un texte antique (le luth symbolise les alliances, la cigogne l'amour filial, le Minotaure le secret politique) ; un titre, en général explicatif (« Qu'il ne faut dévoiler ses projets »), les surmonte. L'éditeur, entre les deux, ajouta une gravure. La critique a érigé cette « division tripartite » seconde (titre ou inscriptio, motto, lemma/illustration ou imago, figure, icône/épigramme ou subscriptio) en définition structurelle de l'emblème, ce qui fait violence à la pratique des xvie et xviie siècles.
Complétés, classés, traduits, commentés, les Emblemata d'Alciat eurent plus de cent cinquante éditions et répandirent en Europe la vogue du livre d'emblèmes. En France, elle doit composer avec une tradition proverbiale et fabuliste, forte chez G. de La Perrière (1539), G. Corrozet (1540), F. Guéroult (1550), plus faible chez les latinistes B. Aneau (1550) et P. Coustau (1555). D'abord jeu culturel, l'emblème devient dès la fin du siècle instrument d'édification. Au xviie siècle, les jésuites, en particulier P. Le Moyne, le plus clair, puis J.-F. Ménestrier, le plus exhaustif, exploitent et théorisent le genre. En Italie triomphe très tôt l'art de la devise ou Impresa, cette « philosophie du courtisan » qui unit un court motto à une figure, comme l'âme à un corps, pour exprimer énigmatiquement un projet héroïque ou amoureux. P. Giovio inaugure, en 1556, une série de traités qui, de S. Ammirato (1562) à E. Tasso (1612), rivalisent de subtilité. Ces théories seront divulguées en France par H. Estienne (1645). En Allemagne, Alciat inspire N. Reusner (1581), J. Camerarius qui exploite l'univers botanique et zoologique (1590-1604), Rollenhagen, élégamment illustré par Crispin de Passe (1611). Les Pays-Bas se font au xviie siècle, avec O. Vaenius, D. Heinsius et H. Hugo une spécialité de l'emblème d'amour, profane ou sacré, souvent polyglotte, où l'enfant Amour attise un alambic ou balaie le cœur de Jésus. Les gravures qui illustrent J. Cats (1618) reflètent la vie quotidienne. L'Angleterre n'innove guère, et avec G. Whitney (1586) traduit et glose Alciat. Les Espagnols excellent dans les emblèmes religieux et politiques, comme ceux de Saavedra Fajardo (1640).
Le terme « emblème » (du grec emblema, incrustation) n'intervient pas dans les titres de tous ces ouvrages. De fait, il a connu les plus grands flottements, désignant l'épigramme ou l'image ou leur association, elles-mêmes très instables. Ainsi à l'épigramme se substitue, chez un Baudoin (1639-1640), un « discours » en prose. L'image, toujours facultative, manque chez un La Faye (1610) ; elle noie la res significans dans un décor aux détails insignifiants ; au xviie siècle, elle emprunte volontiers à l'image de piété sa stratégie de l'émotion et de la mémoire. On proposera donc d'appeler emblème toute res dotée d'une signification symbolique formant un tout bien circonscrit et détachable. Cette acception large englobe la devise, récupère la similitude textuelle et le signe iconologique (le texte sans image et l'image sans texte) mais laisse de côté les[...]
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Écrit par
- Claudie BALAVOINE : chargé de recherche au C.N.R.S.
Classification
Autres références
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LECTURE
- Écrit par Henri-Jean MARTIN et Martine POULAIN
- 10 508 mots
- 1 média
...vient confirmer cette évolution. Le siècle de la Renaissance avait été celui des allégories, ainsi qu'en témoigne la vogue des livres d' emblèmes. Les ouvrages de la Réformation catholique sont bien souvent précédés de frontispices allégoriques que nous avons bien du mal à déchiffrer mais... -
LIVRE
- Écrit par Jacques-Alexandre BRETON , Henri-Jean MARTIN et Jean TOULET
- 26 610 mots
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...bref en bas. L'une et l'autre sont conçus comme des synthèses visant à une communication presque révélée, en tout cas globale et immédiate. Les livres d' emblèmes connurent une fortune incroyable. Les Emblemata d'Alciat, publiés d'abord à Augsbourg, en 1531, fixent la formule et sont édités trente-neuf...