LIVRET, musique
Mythologie et histoire ancienne
Le règne de l'Antique est éternel. Comme la nature humaine qui, dans ses comportements les plus opposés, lui demande toujours sa caution : en plein vérisme, Pietro Mascagni écrira encore un Nerone (1935), comme l'avaient déjà fait Monteverdi (Le Couronnement de Poppée, 1642 ou 1643), aux premiers temps de l'opéra, et, à l'époque de Verdi, Arrigo Boito (Nerone, 1924). L'empereur romain, dont Monteverdi s'était servi pour montrer la puissance de l'amour même sur une âme aussi monstrueuse, celui, tout à la fois artiste et meurtrier, dans lequel Boito voyait un fascinant exemple de l'union des contraires, devient chez Mascagni, le compositeur de Cavalleria rusticana, une illustration du thème « grandeur et décadence » : à la soif du pouvoir la plus insensée succède la mort la plus dérisoire. À chaque fois, Néron apparaît comme celui qui défie les normes humaines mais doit céder à la force du Destin.
Émotion et magie
L'opéra se nourrit ainsi de figures symboliques, que l'éloignement dans le temps a transformées en mythes, et qui sont donc aptes à incarner – magnifiées par le décor, le chant et la musique – les idées-forces que le librettiste tient à exprimer. C'est cette distance qui sublime ce qui fut simple geste ou simple sentiment d'homme et le fait échapper à un quotidien sans grandeur. Un fait divers atroce mais hélas banal – un meurtre d'enfant – devient, dans la grandeur barbare que lui confère le seul nom de Médée, un thème digne de l'opéra.
Mais c'est là, précisément, que surgit la difficulté : l'œuvre lyrique étant, par définition, une œuvre d'harmonie, les êtres franchement odieux ne lui conviennent guère. Il faut que le héros souffre lui-même pour que le spectateur puisse s'identifier à lui. Horreur et pitié : les deux immuables ressorts tragiques. Néron est saisi de douleur quand meurt dans ses bras celle qu'il aime. L'altière Cléopâtre de Massenet (dans l'opéra du même nom, créé en 1914) devient une pauvre femme épouvantée par l'agonie, et c'est pourquoi la grande plainte musicale qui accompagne sa mort va nous étreindre le cœur. Victime d'un destin qui l'a choisi au berceau, Œdipe s'acquiert d'emblée notre compassion. Et c'est, plus que tout autre, cette idée de fatalité qui va conduire l'opéra à se tourner vers l'Antiquité grecque et romaine pour lui emprunter certains de ses thèmes et de ses personnages.
Cette démarche possède un avantage évident. En travaillant sur une histoire archi-connue, le compositeur attend que le spectateur-auditeur réserve son attention aux aspects artistiques de son œuvre : adaptation de la musique aux personnages, technique des chanteurs, ampleur de l'orchestration. La mythologie grecque et l'histoire romaine étant familières à la plupart des pays qui s'intéressent à l'opéra, nul besoin de traduction. Les tempêtes orchestrales peuvent couvrir la voix, les plus folles vocalises distendre à l'envi les paroles sans nuire à l'intelligibilité de l'ensemble. En outre, la mythologie apporte avec elle le merveilleux, le fabuleux, l'irréel, tandis que l'histoire vient contenter le goût, propre au genre lyrique, des arrivées glorieuses et des défilés triomphaux. N'oublions pas en effet les costumes, qui, avec les décors, jouent un rôle clé dans la mission qui est celle de l'opéra : donner à admirer, avant de donner à penser.
L'Antiquité édifiante
Dès le premier opéra en date, ou ce qui peut être considéré comme tel, la mythologie fait son entrée en force : ce fut Daphné (Dafne, musique de Jacopo Corsi et Jacopo Peri sur un poème d'Ottavio Rinuccini, 1598), tirée des Métamorphoses d'Ovide, œuvre qui devait devenir, avec[...]
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Écrit par
- Jean-Michel BRÈQUE
: agrégé des lettres, collaborateur de la revue
Avant-Scène Opéra - Elizabeth GIULIANI : conservateur général à la Bibliothèque nationale de France
- Jean-Paul HOLSTEIN : compositeur de musique, professeur au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, lauréat de la Fondation de la vocation en 1969, directeur du Conservatoire municipal du XVIIe arrondissement de Paris
- Danielle PORTE : maître de conférences à l'université de Paris-IV Sorbonne
- Gilles de VAN : professeur émérite à l'université de Paris-III
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