LOEB RABBI, dit LE MAHARAL DE PRAGUE (1512-1609)
L'œuvre d'un précurseur
L'œuvre de Rabbi Loeb, éditée de son vivant entre 1580 et 1600, a été certes connue et estimée dès sa parution, mais exclusivement dans les cercles mystiques du hassidisme d'Europe orientale. Les historiens de la pensée juive et l'intelligentsia juive éclairée d'Europe occidentale ont été, durant trois siècles, paradoxalement fascinés par le mythe de Rabbi Loeb. Ils l'ont transposé sur son œuvre, dans laquelle ils n'ont voulu voir qu'un tissu confus de légendes ou d'apologétique populaire.
C'est à partir de 1925 seulement qu'une approche nouvelle de l'œuvre de Rabbi Loeb (désormais communément désigné par le nom de Maharal de Prague) s'est dessinée, accentuée à partir de 1955 par la découverte, à Oxford, de manuscrits inédits et par leur publication actuellement en cours.
Ainsi cette œuvre apparaît-elle maintenant comme l'une des plus importantes de la pensée juive au xvie siècle. Elle l'est d'abord par la hardiesse de sa structure, mûrement réfléchie ; l'auteur s'en explique dans plusieurs préfaces programmatiques qui indiquent suffisamment que l'on est en face d'un système philosophique, à la charpente solidement construite et aisément décelable. L'ensemble est resté inachevé, mais certaines œuvres maîtresses émergent (La Puissance divine, La Gloire d'Israël, L'Éternité d'Israël, Le Chemin de la vie, Les Routes éternelles, Le Puits de l'exil, La Haggadah glosée), qui permettent de reconstituer un paysage théologique aux ramifications vastes et rigoureusement coordonnées.
La matière sur laquelle le Maharal travaille inlassablement est la Haggadah talmudique ou le Midrash, c'est-à-dire l'immense littérature qui, n'étant ni juridique, ni casuistique, ni rituelle, constitue plus de la moitié du corpus du Talmud. Alors que les écoles médiévales juives avaient tendance à la négliger ou même à la dédaigner, le Maharal la réhabilite en une apologie splendide et va jusqu'à y déceler la philosophie juive par excellence. Au fil d'une exégèse qui creuse les textes en leurs significations profondes, tout en se permettant des digressions allant de la critique des mœurs du ghetto à la polémique ouverte avec des savants juifs contemporains, humanistes comme lui, mais moins fidèles à la pure tradition des maîtres du Talmud, le Maharal de Prague édifie une théologie qui fait largement confiance à la philosophie (Aristote, Avicenne, Maimonide sont souvent cités élogieusement) et à la mystique de la Kabbale (cette référence est plus discrète chez le Maharal que chez ses contemporains de l'école de Safed, en Palestine, tout en constituant le filigrane de sa pensée). Mais, surtout, cette théologie du xvie siècle est insérée dans une dialectique qui préfigure, d'une manière étonnante, la dialectique trithématique que Hegel développera trois siècles plus tard.
Toute l'échelle de pensée du Maharal tient dans la « contrariété » d'une thèse horizontale, qui confère un pouvoir infini de créativité à l'homme et permet ainsi d'accorder à l'humanisme, à la science, à la recherche, au doute et à la tolérance droit de cité à l'intérieur de la pensée juive, et d'une antithèse verticale, qui aperçoit en Dieu, et en lui seul, l'Absolu écrasant devant lequel l'homme ne peut plus être que prière, poussière, néant. La synthèse surgit du sein même de la contradiction fondamentale en une dimension médiatrice et appelle conjointement Dieu et l'homme à une coopération difficile, mais inéluctable, dans laquelle le Maharal aperçoit l'essence même du messianisme juif, engageant inlassablement l'homme à une existence d'efforts en vue de réconcilier la terre et le ciel. Parmi les instruments privilégiés de ces efforts,[...]
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Écrit par
- André NEHER : professeur honoraire de l'université de Strasbourg
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