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LOGICIELS

Le risque de la dématérialisation

Le logiciel occupe une place centrale dans nos économies mondialisées, nos machines, nos systèmes, nos loisirs et même notre vie de tous les jours. Nos sociétés sont devenues dépendantes de notre capacité à créer, adapter, faire évoluer, corriger, remplacer cette étrange « matière », concentré de connaissances de toute nature, constituée des milliards d'instructions dont dépendent désormais leur bon fonctionnement et notre confort.

Le logiciel est devenu de facto un enjeu stratégique majeur, mais en a-t-on vraiment conscience ? Rien n'est plus facile que de copier, voler, modifier (virus informatiques) le logiciel et les données qu'il manipule. Mais fait-on le nécessaire pour que ce fragile équilibre ne s'effondre pas un jour comme un bâtiment qui n'a pas respecté les normes sismiques du terrain dangereux où il a été construit ? Chacun a encore en mémoire ce qui fut présenté, d'ailleurs à tort, comme le bug de l'an 2000 (codage de l'année sur deux chiffres au lieu de quatre, par exemple « 85 » au lieu de « 1985 », ce qui aurait fait écrire « 00 », interprété comme « 1900 », au lieu de « 2000 », et entraîné une multitude d'erreurs). Il serait grand temps de traiter le logiciel avec le même sérieux que le silicium de nos microprocesseurs. L'industrie de la connaissance, comme on dit parfois, est d'abord et avant tout l'industrie du logiciel qui la matérialise, il ne faut jamais l'oublier !

Dans un numéro spécial de la revue IEEE Spectrum de septembre 2005, consacré au logiciel, un article de Robert Charette au titre évocateur, « Why software fails », dressait une liste impressionnante d'échecs de projets, le software hall of shame, qui devrait amener les décideurs à s'interroger. Le plus surprenant dans cette liste était que la plupart des échecs auraient pu être évités si les acteurs s'y étaient pris autrement et avaient respecté le b.a.-ba de l'ingénierie logiciel.

Il ne fait aucun doute aujourd'hui que le niveau moyen des informaticiens en charge des projets est insuffisant pour maîtriser la complexité des logiciels qui n'est elle-même que le reflet de la complexité de nos sociétés. Interconnecter tout le monde avec tout le monde, via Internet et le Web 2.0, fait certes émerger de nouvelles possibilités inaccessibles jusque-là, mais cela crée simultanément un formidable potentiel de dysfonctionnements qui ne se révéleront que progressivement. En termes biologiques, cela revient à faire sauter la barrière immunitaire qui nous protège de notre environnement, lequel n'est pas toujours aussi sympathique que le proclament certains. La crise du logiciel, dont on parle depuis les années 1970, est devenue une maladie chronique. Diffuser de l'information revient, si l'on n'y prend pas garde, à créer des dépendances cachées entre celui qui l'envoie et celui qui la reçoit, et cela de proche en proche. C'est un « simple » problème de traçabilité qui peut vite se transformer en cauchemar quand on voudra faire des mises à jour. On en a eu un faible aperçu avec l'an 2000 où il a fallu retrouver dans les programmes toutes les instructions qui manipulaient des dates. La dématérialisation de l'information permet d'un simple clic de répliquer cette dernière dans des millions de machines où il est facile d'en perdre la trace, et comme rien ne ressemble plus à des instructions que d'autres instructions, on voit tout de suite l'ampleur du problème. On ne peut rêver meilleure cachette, comme l'ont très bien compris les mafias et les groupes terroristes. La « forme » d'un programme est une forme logique, pas une forme physique et/ou géométrique ; c'est une abstraction qui ne se perçoit pas par les sens que nous a donné la nature. Il faut beaucoup d'entraînement pour percevoir les abstractions et former de bons informaticiens.[...]

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  • : professeur titulaire de la chaire de génie logiciel au Conservatoire national des arts et métiers

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