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LOGIQUE INDIENNE

Théorie de l'argumentation : essais de formalisation

Au moyen d'une liste de neuf rubriques, intitulée « hetucakra » (roue de raisons), qui figure dans son Hetucakraḍamaru, Dignāga a pu donner un relevé complet des arguments valides ; cette validité repose sur les relations qui peuvent exister entre le signe h, les exemples s qui sont les lieux où se manifeste le sādhya (lieux tels que le pakṣa), et les contre-exemples v, qui sont les lieux où se manifeste le complément du sādhya. Dignāga s'appuie sur son étude critique de la Vādavidhi (règles de controverse) de Vasubhandu le Jeune (vers 400-480), où, pour la première fois dans l'histoire de la logique bouddhiste, le syllogisme en cinq propositions se trouvait réduit aux trois premières, appelées « preuve » ( sādhana). Évidemment, l'ouvrage étudiait aussi comment entreprendre des réfutations (dūṣaṇa) : il fallait pour cela trouver des erreurs dans une preuve, et à cette fin le vāda-vidyā exposait une technique perfectionnée fondée sur l'emploi de contre-factuelles (tarka) : s'il y avait A il y aurait B, or B n'est pas, donc A non plus. Dignāga s'appuie tout spécialement sur les recherches de Vasubhandu le Jeune à propos de la règle des >trois traits caractéristiques< [que doit posséder un argument] (trairūpya). Chez celui-ci, la règle se trouvait déjà formulée, mais d'une façon qui n'était pas encore claire, et un des contemporains de Dignāga, Praśastapāda, le maître du Vaiśeṣika, en propose encore au début du vie siècle un traitement qui n'est pas satisfaisant.

La >roue de raisons< constitue la première formalisation réussie qu'un logicien indien ait donnée de l'inférence logique ; elle est comparable à la syllogistique d'Aristote, encore que son organisation la rapproche beaucoup plus de celle des stoïciens. Elle énonce qu'une argumentation est valide si, et seulement si, les trois principes suivants sont respectés : (1) le signe figure dans l'objet (pakṣadharmatva, littéralement : le fait que l'objet porte la propriété), (2) le signe ne figure que là où la conséquence se produit, c'est-à-dire en des lieux semblables à l'objet (sapakṣa sattva), et (3) le signe est absent là où la conséquence est absente, c'est-à-dire dans les lieux qui ne sont pas semblables à l'objet (vipakṣa sattva). Comme le sapak⋅a sattva se réfère aux lieux du sādhya (s = sādharmya dṛṣṭānta, exemple semblable ; les logiciens bouddhistes emploient « dṛṣṭānta » au lieu de « udāharaṇa »), tandis que le vipakṣa sattva se réfère aux lieux du complément du sādhya (v = vaidharmya-dṛṣṭānta, exemple contradictoire), la règle (1) énonce ιpε h (à [l'emplacement de] cette montagne il y a de la fumée), la règle (2) énonce l'implication générale h ≺ s (anvaya : partout où [il y a] fumée, là [il y a] du feu), et la règle (3) la contraposition de (2) :  ≺  (vyatireka : partout où [il y a] non-feu, là [il y a] non-fumée). C'est le logicien bouddhiste Dharmottara (vers 750-810) qui, le premier, fit observer que (2) et (3) sont logiquement équivalents et expriment la vyāpti de la fumée et du feu, mais ne tint pas compte des prescriptions de Dignāga selon lesquelles il serait indispensable que les trois règles soient respectées toutes ensemble. Dignāga avance qu'il ne suffit pas de respecter les seules règles (1) et (3) ensemble, et par là il indique clairement qu'il ne considère pas comme généralement valide la loi de la double négation « non-non-A implique A ». Il s'aligne ainsi exactement sur la place fondamentale qu'occupent les concepts négatifs dans l'ensemble du bouddhisme, ainsi que sur le nominalisme dont il fait preuve lui-même lorsque, pour édifier[...]

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Écrit par

  • : docteur en philosophie, professeur de philosophie

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