Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LOGIQUE INDIENNE

Le problème des universaux

Il s'avère donc que l'influence décisive qui s'exerça sur le développement du Nyāya fut celle de Dignāga, non seulement dans le domaine de la logique proprement dite à propos du concept d'implication, mais aussi dans le domaine de l' épistémologie. Car, après lui, le Nyāya fut obligé de défendre son réalisme contre le nominalisme radical de Dignāga et de son école. Dans le développement de la Mīmāṁsā, un contemporain de Dignāga un peu plus âgé, le grammairien Bhartṛhari (vers 450-510), revêt une importance similaire. Il fut en outre le fondateur d'une branche particulière du darśana orthodoxe AdvaitaVedānta, appelée Śabdādvaita (non-dualité quant au verbe, ce qui signifie que le langage seul est réel, est le śabdabrahman). De la doctrine de la Mīmāṁsā que les termes primitifs renvoient à des universaux, il tire une conclusion radicale qui pousse une des branches des mīmāṁsakas (les prābhākaras) à se rapprocher du bouddhisme, et l'autre (les bhāṭṭas, disciples de Kumārila) à se rapprocher du Nyāya : tout terme articule des universaux à la fois verticalement et horizontalement, quel que soit son niveau de composition. Énoncer une proposition n'est pas représenter un individu en tant qu'il comporte tel et tel attribut, mais est un moyen, et même le seul moyen, de rendre accessible quelque chose d'universel. La réalité est de nature linguistique et peut être connue grâce à un moyen de connaissance spécial, défini par Bhartṛhari le premier, et nommé par lui « pratibhā » (intuition) : c'est l'intuition qui reconnaît, de manière immédiate et soudaine, le caractère schématique ou générique des termes à divers niveaux, par exemple au niveau phonétique et au niveau sémantique (pour désigner ce caractère, la tradition des grammairiens offrait le terme de « sphoṭa », éclatement), et seule cette reconnaissance mérite d'être appelée connaissance de ce qui est. La parole concrète ou la perception, considérées comme des actualisations d'action, sont des entités singulières à partir desquelles, par le canal encore une fois de l'inférence, ne peuvent être atteintes que d'autres entités singulières. Aucun des deux pramāṇa traditionnels n'est apte à rendre accessible l'universel, il faut pour cela le pratibhā.

Dignāga et Bhartṛhari s'accordent dans la mesure où le langage (nāma) et la construction conceptuelle (kalpanā) constituent l'avers et le revers d'une seule et même pièce de monnaie. Le désaccord intervient lorsque l'un (Bhartṛhari) appelle cette monnaie « brahman » et l'autre (Dignāga) l'appelle « śūnyatā » (le vide), parce que, pour Bhartṛhari, seuls les universaux sont réels, pour Dignāga, seuls les singuliers sont réels, et vice versa en ce qui concerne le caractère fictif. Heureusement, cette opposition n'affecte pas de manière essentielle la logique lorsqu'elle traite des singuliers et des universaux, ni donc non plus des individus.

— Kuno LORENZ

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : docteur en philosophie, professeur de philosophie

Classification

Autres références

  • BOUDDHISME (Histoire) - Littératures et écoles bouddhiques

    • Écrit par
    • 5 970 mots
    C'est chez les Vijñānavādin qu'apparut, dès le début du vie siècle, une très importante école de logiciens dont le fondateur fut Diṅnāga. Celui-ci est notamment l'auteur du Nyāyamukha, ou « Bouche de la logique », du Pramāṇasamuccaya, ou « Accumulation des critères...
  • BOUDDHISME (Les grandes traditions) - Bouddhisme indien

    • Écrit par et
    • 10 641 mots
    • 1 média
    À la dialectique élaborée chez les Mādhyamika s'est adjointe une active spéculation de logique positive, parallèle à celle des milieux brahmaniques. Avec Dignāga, cette logique bouddhique s'est constituée en science autonome. Dignāga étudie spécialement la connaissance et discute ses modes. Vijñānavādin,...
  • CANDRAKĪRTI (fin VIe s.)

    • Écrit par
    • 562 mots

    Un des plus grands maîtres de l'école mādhyamaka. Candrakīrti serait né au Samanta, dans le sud de l'Inde. Élève de Kamalabuddhi, il découvre par lui les œuvres de Nāgārjuna, de Buddhapālita et de Bhāvaviveka. Établi à Nālandā, il se trouva en concurrence avec Candragomin, de l'école yogācāra....

  • DINNĀGA ou DIGNĀGA (VIe s.)

    • Écrit par
    • 152 mots

    L'un des maîtres les plus importants de la logique bouddhique vivant au vie siècle. Dinnāga (on écrit aussi Dignāga) appartenait à l'école illustrée par Vasubhandu (de peu son aîné), qui tenait que les prétendues réalités du monde phénoménal ne sont, en fait, que des représentations (...

  • Afficher les 12 références