LOI
Le mot « loi » est l'un des plus polyvalents qui soient, et cela, avant tout, parce que la réalité qu'il recouvre est ambiguë, ou plutôt d'une complexité historique et existentielle difficile à tirer au clair.
Pour ne conserver que l'acception juridique, la loi, comme expression du droit, est faite par les hommes ; elle est le produit d'une situation historique donnée, mais elle est aussi, du même mouvement, un projet, une action qui veut anticiper sur le futur, peut-être même le prendre pour règle et, par là, changer la société. Il n'est pas obligatoire, en posant cette affirmation, de recourir au matérialisme historique, selon lequel le droit dans une société est une superstructure édifiée sur l'exploitation. Il suffit de saisir l'organicité, pourrait-on dire, qui existe entre, d'une part, la vie sociale tissée de relations familiales et économiques et, d'autre part, l'État et la raison. D'ailleurs, à partir du moment où un groupe humain, quelle que soit sa taille, mais surtout s'il est national, se donne des lois, c'est qu'il veut s'arracher à ce qu'il est pour devenir autre. Il s'établit en somme dans une dynamique, il se met en mouvement, il pose une distance avec lui-même et prend conscience de ce qu'il veut : mais cette volonté fait elle-même problème.
Entre le résultat et le projet, la loi polarise en effet la volonté générale et celle de l'individu. Ce qui est vrai d'un chacun est plus vrai encore d'une société globale, quoique de façon plus complexe. L'homme se saisit lui-même comme volonté et doué d'une liberté. Il ne peut pas, sauf à mourir, ne pas vouloir, et ne pas vouloir être libre. De plus, il se découvre aussi comme être de besoin en quête de satisfaction et comme être de désir appelant toujours autre chose ou quelqu'un d'autre. D'emblée, il est en lutte à la fois avec la nature et avec autrui, pour parvenir à ses fins, pour vivre mieux, dans plus de justice. Il devient homme et plus homme par ce combat. Autrement dit, il ne peut être lui-même que par cette médiation, il n'est satisfait et autonome que par cette sorte de soumission, par cette hétéronomie, soit qu'il s'affronte en permanence avec l'autre et tous les autres, soit qu'il s'accorde avec eux. Le chemin, certes, est rempli d'embûches, car, tout d'abord, il n'est pas facile de savoir ce qu'on veut ni ce qui se veut dans l'élan de la volonté. La difficulté est plus grande a fortiori pour une société de savoir ce qu'elle veut, de dégager sa volonté générale. Alors que chacun de ses membres est épris de justice et de paix, elle découvre, non sans une sorte d'effroi, que ce but est inaccessible sans que les uns s'opposent aux autres, sans qu'une société s'oppose à l'autre. La violence semble inéluctablement inscrite au cœur de la réalité humaine.
La loi va s'efforcer de mettre de la raison dans cette violence. Nier que la violence existe ou supposer qu'on puisse vivre hors d'elle est le meilleur moyen d'en être victime. Mieux vaut lui faire face et tout mettre en œuvre pour la discipliner. Dès longtemps, Platon a enseigné que le dialogue – le discours – est à la fois le surgissement de la violence – quand deux individus discutent, ils sont en lutte – et le moyen de la dépasser. Que faire de nos jours quand s'accumule la violence, quand les forces de destruction acquièrent une efficacité planétaire, quand aucune loi ne semble plus taillée à la mesure du problème qu'elle veut résoudre ? La tyrannie et la barbarie sont une issue possible. L'invocation de l'innocence, en se plaçant « par-delà le bien et le mal » à la façon de Nietzsche, en est une autre. Si la première « solution » est inacceptable et la seconde trop lointaine, force est bien[...]
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Écrit par
- Georges BURDEAU : professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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