- 1. Les buts de la démarche scientifique
- 2. Les lois universelles et le problème de l'induction
- 3. Les paradoxes de la confirmation
- 4. Lois et explication
- 5. Les lois sont-elles des vérités nécessaires connaissables a priori ?
- 6. Lois, causalité, régularités et contrefactuels
- 7. Conclusion : pourquoi le mot « loi » n'est pas ambigu
- 8. Bibliographie
LOI, épistémologie
Les paradoxes de la confirmation
Une loi de la nature ne se contente pas de décrire les phénomènes observés – les faits attestés – mais dévoile ce que pourraient être les faits dans des conditions hypothétiques irréalisées. Notre confiance dans une loi dépend donc de la confirmation ou de la corroboration que les preuves favorables lui confèrent. Réciproquement, une proposition nomologique infirmée par des contre-exemples n'est pas strictement vraie : on cherche soit à l'amender soit à la remplacer. Les concepts de loi et de confirmation sont donc intimement liés. Or, au milieu du xxe siècle, Hempel et Goodman ont révélé que le concept de confirmation était affligé de deux paradoxes.
Le paradoxe de Hempel (Studies in the Logic of Confirmation, 1945).
Considérons la proposition triviale exprimée par l'énoncé :
Représentons-la comme une proposition conditionnelle universellement quantifiée :
où « C » désigne la propriété d'être un corbeau, « N » la propriété d'être noir, les « phrases ouvertes » « Cx » et « Nx » étant respectivement l'antécédent et le conséquent du conditionnel.La conjonction (C) des trois principes de confirmation suivants – nommée « critère de Nicod » – paraît intuitivement solide :
(C1) Si un objet observé a satisfait à la fois l'antécédent et le conséquent du conditionnel (Ca & Na), il confirme le conditionnel.
(C2) Si un objet observé a satisfait l'antécédent mais non le conséquent (Ca & – Na), il infirme le conditionnel.
(C3) Si un objet observé a ne satisfait pas l'antécédent (– Ca), il ne compte pas ou il est dénué de pertinence par rapport au conditionnel.
Par une règle de logique élémentaire, nommée la contraposition, la proposition (1a) est logiquement équivalente à la proposition (1b) :
ou « Tout ce qui n'est pas noir n'est pas un corbeau ». (I) Appliquons à (1b) le critère de Nicod : de (C1), il résulte que (1b) est confirmée par l'observation d'un objet qui satisfait son antécédent et son conséquent. Donc (1b) est confirmée par l'observation d'un objet qui n'est ni noir ni un corbeau, par exemple une feuille de papier jaune.(II) Or (par contraposition) (1b) est équivalente à (1a) – « Tout ce qui n'est pas noir n'est pas un corbeau » est équivalente à « Tous les corbeaux sont noirs ».
(III) Donc, par (C1), il s'ensuit que l'observation d'une feuille de papier jaune qui confirme (1b) confirme aussi (1a).
(IV) Or, par (C3), une feuille de papier jaune qui ne satisfait pas l'antécédent de (1a) est dénuée de pertinence pour (1a).
(V) Conclusion : paradoxe.
Deux grands types de manœuvres ont été envisagés pour résoudre ce paradoxe :
– On peut faire valoir que la contraposition ne préserve pas la relation de confirmation : comme l'ont notamment souligné Quine (1969) et Goodman, à la différence des prédicats « corbeau » et « noir » contenus dans (1a) et qui désignent des classes ou des espèces naturelles, les prédicats « complémentaires » « non corbeau » et « non noir » contenus dans (1b) ne peuvent pas entrer dans la formulation d'hypothèses qui se prêtent à la confirmation. La contraposée d'une loi n'est pas elle-même une loi parce que le complément d'une classe naturelle n'est pas une classe naturelle.
– Certains philosophes de la tradition bayésienne (dont Horwich 1982, Mackie 1963, Suppes 1966) incriminent le critère de Nicod. Ils acceptent (III) : l'observation d'une feuille jaune apporte une confirmation minime mais non nulle à (1a). La source du paradoxe réside, selon eux, dans l'assimilation d'une confirmation très faible à une absence pure et simple de confirmation. L'erreur renfermée par le critère de Nicod est, selon eux, d'employer un concept classificatoire ou catégorique[...]
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Écrit par
- Pierre JACOB : chargé de recherche en philosophie au C.N.R.S., membre du Centre de recherche en épistémologie appliquée
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