- 1. Les buts de la démarche scientifique
- 2. Les lois universelles et le problème de l'induction
- 3. Les paradoxes de la confirmation
- 4. Lois et explication
- 5. Les lois sont-elles des vérités nécessaires connaissables a priori ?
- 6. Lois, causalité, régularités et contrefactuels
- 7. Conclusion : pourquoi le mot « loi » n'est pas ambigu
- 8. Bibliographie
LOI, épistémologie
Lois et explication
En raison de la parenté entre les concepts de loi et d'explication, les philosophes des sciences se sont penchés sur le concept d'explication. C'est à Hempel (Aspects of Scientific Explanation, 1965) qu'incombe le mérite d'avoir jeté les bases des discussions contemporaines en proposant le fameux modèle dit « nomologico-déductif » (DN) de l'explication scientifique.
Selon l'intuition qui guide ce modèle, expliquer l'occurrence d'un événement, c'est montrer (ou justifier) en quoi ce phénomène est attendu, en le subsumant comme un cas particulier sous un cas général. Le modèle peut se présenter sous la forme suivante :
L'explanandum est la proposition décrivant le fait à expliquer : par exemple, le fait que la colonne de mercure contenue dans la pipette d'un thermomètre immergé dans l'eau chaude commence par baisser légèrement puis remonte rapidement au-dessus de son niveau de départ. Ce fait s'explique parce que l'accroissement de température dû à l'immersion dans l'eau provoque d'abord la dilatation du verre de la pipette. Donc la colonne de mercure baisse légèrement de niveau. Puis, en vertu de sa conductivité thermique, le verre transmet au mercure la chaleur qui provoque la dilatation du mercure dont le coefficient de dilatation est très supérieur à celui du verre. L'explanans, qui est l'ensemble des propositions explicatives, contient d'une part des propositions singulières ou existentielles (C) décrivant les conditions initiales – la composition du thermomètre, la pipette en verre, la colonne de mercure, la température du verre, du mercure, de l'eau, l'immersion du thermomètre – et d'autre part des lois générales – les lois sur l'expansion thermique respective du mercure et du verre et la faible conductivité thermique du verre. Le modèle DN d'explication s'applique aussi à l'explication d'une loi moins générale par une ou des lois plus générales.
Pour Hempel, une explication DN est une inférence démonstrative : l'explanandum doit être déductible de l'explanans qui doit donc contenir des lois universelles. Pour Hempel, la seule différence entre une explication et une prédiction est purement pragmatique : à la différence du fait à expliquer, le fait prédit ne s'est pas encore produit au moment de l'énonciation des propositions explicatives. Outre qu'il est difficile de distinguer formellement les lois, les conditions initiales et les propositions auxiliaires, on peut se demander si ce modèle fournit un ensemble de conditions nécessaires et suffisantes d'une explication scientifique.
La majorité des philosophes des sciences contemporains fourniraient une réponse négative. Premièrement, on peut expliquer (par la trigonométrie) la longueur de l'ombre d'un poteau sur le sol (à une heure donnée) en la déduisant de la hauteur du poteau, de l'angle du Soleil, et de la loi affirmant que la lumière se propage en ligne droite. Mais (cf. S. Bromberger, « Why-Questions », 1966) on pourrait aussi déduire la hauteur du poteau à partir de la longueur de son ombre et du reste de l'explanans précédent : c'est une méthode fiable pour découvrir la hauteur du poteau, mais elle n'explique pas la hauteur du poteau. Deuxièmement, demandons-nous pourquoi Alfred Lupin était dans le coffre-fort de la Banque nationale de Paris, 25, rue d'Assas, à Paris, à 3 heures du matin le 12 avril 1923. On peut (cf. H. Putnam, Meaning and the Moral Sciences, 1978) « déduire » ce fait (conformément au modèle DN d'explication) de la proposition singulière affirmant qu'Alfred Lupin était à cet endroit un milliardième de seconde avant 3 heures du matin ce jour-là et de la loi affirmant qu'aucun objet ne peut se déplacer à une vitesse supérieure[...]
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Écrit par
- Pierre JACOB : chargé de recherche en philosophie au C.N.R.S., membre du Centre de recherche en épistémologie appliquée
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