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LOI, épistémologie

Lois, causalité, régularités et contrefactuels

Par aversion pour la nécessité dans les choses (ou nécessité de re), un empiriste adopte une conception épistémique des lois causales (cf. supra, Les buts de la démarche scientifique), dont le prototype est l'analyse humienne, qui procède par une double réduction :

– La causalité, qui n'existe pas dans la réalité, n'est qu'une projection de l'esprit humain sur les choses. Une cause, a écrit Hume (dans le Traité de la nature humaine, livre I, part. III, sect. 14, trad. franç., p. 259), est « un objet antérieur et contigu à un autre tel que les objets semblables au premier soient placés dans une relation semblable de priorité et de contiguïté par rapport à des objets semblables au second ». La première étape assimile donc la causalité à une loi causale.

– La seconde étape assimile les lois causales à de simples régularités ou uniformités entre les phénomènes observables.

La réduction de la causalité aux lois causales est rejetée par des avocats de la conception singulariste de la causalité (cf. J. Ducasse, 1926, et G. E. M. Anscombe, 1971) qui tiennent les causes pour des entités individuelles et les relations causales singulières entre des événements pour irréductibles à des propositions nomologiques. Elle est aussi rejetée par ceux qui, comme Lewis (1973, 1986), préfèrent analyser la causalité au moyen du concept de dépendance contrefactuelle : « A est la cause de B » signifiant « Si A ne s'était pas produit, B ne se serait pas produit ». Si la dépendance contrefactuelle est présentée comme un ensemble de conditions nécessaires et suffisantes d'une proposition causale, l'analyse soulève le problème des concomitances : par exemple, un changement de hauteur de la colonne de mercure d'un baromètre (A) précède un orage (B). A n'est pas la cause de B. Il y a une corrélation (ou concomitance) entre A et B, qui sont tous les deux les effets de la baisse de la pression atmosphérique. Pourtant, « Si A ne s'était pas produit, B ne se serait pas produit » est vrai.

Même si on l'accepte, la réduction humienne des causes aux lois pose le problème de la sélection de la cause pertinente à l'intérieur de la cause « totale » d'un événement. Comme l'a fait valoir H.  Putnam (1983), la cigarette jetée par un promeneur est tenue pour la cause de l'incendie qui a ravagé 30 hectares de forêt dans les Alpes maritimes. On tient la cigarette pour la cause pertinente – l'explication –, non la cause totale de l'incendie, dans laquelle on inclut la sécheresse du bois et des feuilles d'arbres, la température et la sécheresse de l'air.

Les lois causales ne sont pas réductibles à de simples régularités car toutes les uniformités ne sont pas des lois. Comme l'a fait valoir Goodman, la loi sur la dilatation des gaz justifie l'assertion de l'énoncé contrefactuel « Si l'oxygène contenu dans ce récipient avait été chauffé, il se serait dilaté ». Mais « Toutes les pièces de monnaie dans mon portefeuille sont des pièces de vingt centimes » ne justifie pas l'assertion de « Si cette pièce de un franc avait été dans mon portefeuille, ce serait une pièce de vingt centimes » (si la pièce de un franc est tenue pour identique à elle-même pendant qu'on l'imagine là où elle n'est pas). Les lois, dit-on, à la différence des régularités accidentelles, servent à justifier des propositions contrefactuelles.

Si, pour comprendre la différence entre une loi et une généralisation accidentelle, on se tourne naturellement vers l'analyse des propositions contrefactuelles, on rencontre – comme l'a souligné Goodman – de sérieuses difficultés dont les deux exemples suivants donnent un aperçu :

(1) Si Jules César avait commandé[...]

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Écrit par

  • : chargé de recherche en philosophie au C.N.R.S., membre du Centre de recherche en épistémologie appliquée

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Karl Popper - crédits : Keystone/ Getty Images

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