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LOI, physique

C'est une idée étrange, peu naturelle si l'on ose dire, que celle des « lois de la nature », qui caractérise la science occidentale moderne, à la différence, par exemple, comme Joseph Needham l'a montré, de la tradition scientifique chinoise. La culture romaine, pourtant si légiférante, ne connaît pas non plus une telle idée : chez Lucrèce, il n'est question que de « pactes » ou de « traités » naturels (fœdera naturae). L'idée de loi de la nature est d'origine fondamentalement théologique, et traduit l'influence du contexte culturel judéo-chrétien dans lequel se développe la science occidentale. Le Dieu législateur, qui tend à Moïse les Tables de la Loi morale, ce Dieu que le christianisme hérite du judaïsme, est aussi le créateur du monde, et donc l'auteur des lois qui le régissent. Des lois de Dieu aux lois de la nature, le glissement se fera de lui-même aux débuts de la science moderne, les deux se confondant d'ailleurs dans la conception de Spinoza (Deus, sive Natura). Si le terme loi n'est guère employé par Galilée, il se trouve chez Kepler, et prend toute sa force chez Descartes qui explique, dans une lettre à Mersenne (1630), que Dieu impose librement ses lois à la Nature et les imprime dans nos âmes « ainsi qu'un roi imprimerait ses lois dans le cœur de tous ses sujets, s'il en avait le pouvoir ». Juste retour des choses, au xviiie siècle, c'est la loi scientifique qui fondera la conception proprement juridique de la loi politique, comme on le voit chez Montesquieu, qui écrit dans L'Esprit des lois : « Les lois sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses. »

Les limites de la loi

Aussi ne faut-il pas s'étonner que la formulation de lois ait constitué, du xviie au xixe siècle, la forme canonique d'énonciation des découvertes scientifiques, en tout cas en physique. Longtemps, les lois porteront le nom de leur premier énonciateur – lois de Kepler, de Snell-Descartes, de Newton, de Boyle-Mariotte, de Lambert, de Coulomb, etc. Par-delà la personnalisation du travail scientifique, on peut voir dans cette individualisation une conception démiurgique de la science, où le découvreur s'identifie au créateur, ou tout au moins se révèle son intercesseur : si la loi de Dieu s'appelle aussi loi de Moïse, la loi de la Nature peut bien s'appeler loi de Newton. La laïcisation de l'idéologie dominante comme la démocratisation du pouvoir politique affaibliront l'importance de la notion de loi dans la pratique scientifique. La dénomination des lois, au cours du xixe siècle, se fera d'abord plus abstraite : on parlera de la loi des grands nombres, des lois de la thermodynamique, de l'électromagnétisme, de l'évolution même. Par ailleurs, certaines lois conçues initialement comme fondamentales se révéleront approximatives et de validité limitée. C'est le cas de la loi d'Ohm qui affirme la proportionnalité entre la tension électrique aux bornes d'une résistance et le courant qui la traverse, mais qui ne vaut que pour des conducteurs particuliers ; de même, la loi des gaz parfaits ne vaut qu'approximativement pour des gaz réels et doit être remplacée par des expressions plus compliquées. Le caractère finalement phénoménologique de ces lois infirme leur appellation même.

Mais la critique essentielle que l'on peut adresser à la notion de loi est qu'elle ne donne qu'une idée trop limitée de la structure théorique de la physique. Dans la mesure où une loi énonce une relation particulière entre certaines grandeurs physiques, l'insistance mise sur cet énoncé tend à masquer l'existence d'autres relations connexes, dont seul l'ensemble peut rendre compte de la structure complexe du réseau conceptuel dans le domaine considéré. Aussi, la terminologie tombera en désuétude[...]

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