LOI SOCIOLOGIQUE
Selon Raymond Boudon et François Bourricaud (1982), il « est exagéré de prétendre que la sociologie soit essentiellement une science nomothétique, visant à la mise en évidence de lois générales ». Cette prétention est liée à l'ambition de la sociologie à la généralité, celle-ci fût-elle conditionnelle, et « peut donc prendre la forme de la recherche de lois générales, sans prendre nécessairement cette forme ». À côté des lois générales, on peut aussi chercher à énoncer des lois évolutives, et des modèles structurels, qui correspondent à des schèmes explicatifs invariants.
Pour ce qui est des lois générales, « il n'est pas sûr que cette activité soit dans la pratique ni la plus fréquente, ni la plus féconde ». Elle se heurte en effet au caractère local, dans le temps et l'espace, des lois de ce genre. Ainsi en ira-t-il de la proposition d'Émile Durkheim selon laquelle les taux de suicide sont une fonction de l'anomie et de l'égoïsme, vérifiée en apparence au xixe siècle en Europe, mais infirmée au xxe siècle. Les sociologues, en effet, s'intéressent à des phénomènes créés par les êtres humains, dont la condition fondamentale est l'historicité. Ces phénomènes sont soumis, même dans les sociétés jugées les plus stables, à des changements incessants. De plus, l'humanité est partagée en sociétés singulières que séparent les structures sociales et les pratiques quotidiennes. Il est difficile, dès lors, de proclamer le caractère général de relations causales, en particulier celle qui lie l'alcoolémie et la mortalité routière, irrecevable dans les sociétés où la consommation d'alcool est interdite, pour ne prendre que ce seul exemple. Les Lois évolutives sont « des énoncés indiquant qu'un système est appelé à passer par une suite d'états déterminables à l'avance ». La plus célèbre est sans doute celle qu'a énoncée Auguste Comte et dite « des trois états », qui caractériserait le développement de l'esprit humain : théologique, métaphysique et positif. On citera aussi le passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique en raison de la croissance de la division sociale du travail, élaborée par Durkheim. Plus près de nous dans le temps, la définition des cinq étapes du développement par Walt Whitman Rostow est un autre exemple connu. Mais ces lois sont, elles aussi, soumises aux aléas des conditions locales, ce qui en limite évidemment la portée.
Quant aux modèles structurels, ils ont pour vocation de rendre intelligibles des réalités qui peuvent être très diverses du point de vue phénoménal. Un même schème explicatif peut s'appliquer à des situations aussi différentes qu'une grève « sauvage » ou un match de football se terminant en affrontements violents (par le recours, par exemple, à la notion de frustration). L'emploi de ces modèles manifesterait la véritable spécificité de la sociologie face à l'histoire, science d'événements singuliers (ce qui n'a pas empêché certains penseurs de chercher à énoncer des « lois de l'histoire ») : « Même lorsque le sociologue analyse un phénomène singulier [...], son objectif est rarement de rendre compte de son objet dans sa singularité, mais de l'interpréter comme la réalisation singulière de structures plus générales » (Boudon et Bourricaud). Ce que l'on désigne par théorie sociologique est pour l'essentiel constitué par l'ensemble des modèles conceptuels pouvant être sollicités pour étudier tel ou tel phénomène social. Dans son manuel, Sociology (2006), Anthony Giddens soutient que les « théories impliquent de construire des interprétations abstraites qui peuvent être utilisées pour expliquer une large variété de situations empiriques [...]. Bien entendu, la recherche[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Claude JAVEAU : professeur à l'Université libre de Bruxelles
Classification
Autres références
-
EXPLICATION, sociologie
- Écrit par Frédéric LEBARON
- 981 mots
Depuis Wilhelm Dilthey, il est classique de distinguer deux démarches intellectuelles : la compréhension, qui serait caractéristique des sciences de l'esprit, et l'explication, qui serait propre aux sciences de la matière. Expliquer renvoie donc à première vue au cadre épistémologique dont se sont...