SOMPTUAIRES LOIS
Destinées à contenir dans des limites jugées raisonnables le train de vie des citoyens, ou des sujets, les lois somptuaires ont été en usage dès l'Antiquité dans les cités grecques et à Rome. Elles témoignent de l'existence d'un pouvoir assez fort pour restreindre les libertés individuelles au profit d'un bien commun. L'esprit qui les inspire peut varier, mais elles sont généralement axées sur trois thèmes essentiels : une préoccupation morale ou religieuse tendant à préserver le corps social de la corruption, de la luxure et à le maintenir dans une frugalité inséparable de la vertu ; un motif économique qui est souvent la nécessité d'empêcher l'évasion de la monnaie par des importations de produits de luxe et en général de limiter les dépenses improductives, comme celles que représente l'acquisition de bijoux, de fourrures, d'étoffes et de garnitures d'or et d'argent et même d'étoffes de certaines teintes (comme l'écarlate) particulièrement chères ; le désir, enfin, de maintenir la hiérarchie sociale existante, celle-ci se manifestant par une série de signes visibles dont Balzac, dans son Traité de la vie élégante, s'amuse à faire l'inventaire : « Et c'est ainsi que les armoiries, les livrées, les chaperons..., les talons rouges, les mitres, les colombiers, le carreau à l'église et l'encens par le nez, les particules, les rubans, les diadèmes, les mouches, le rouge, les couronnes, les souliers à la poulaine, les mortiers... étaient successivement devenus des signes matériels du plus ou moins de repos qu'un homme pouvait prendre, du plus ou moins de fantaisies qu'il avait le droit de satisfaire, du plus ou moins d'hommes, d'argent, de pensées, de labeurs qu'il lui était possible de gaspiller. » Les lois somptuaires, qu'elles réglementent la table ou les équipages, la longueur des traînes, la profondeur des décolletés ou la quantité des franges et des galons, témoignent de la mentalité d'une société à un moment de son histoire. Elles peuvent répondre à une préoccupation générale du royaume, telle la loi demandée au roi par les états généraux de 1485, constatant les folles dépenses qui avaient suivi la mort de Louis XI et déclarant que « l'excès de dépense en habits est une offense envers le Créateur ». Elles peuvent aussi découler de la Constitution même de l'État, comme celle qui, dans la République de Venise, interdisait à tout citoyen, riche ou pauvre, noble ou obscur, de se vêtir autrement que de noir et de laine, sauf aux jours de fête et à l'exception des magistrats, réalisant ainsi une apparente égalité dans les conditions. Les lois somptuaires ont souvent influé sur le cours de la mode, la pénurie développant l'ingéniosité : celle de Richelieu en 1620, qui défendait d'user des passementeries qui faisaient fureur, favorisa l'essor de la dentelle pour laquelle l'engouement ne fut pas moins grand. En Europe, les lois somptuaires déclinèrent au xviiie siècle. Elles n'avaient jamais été appliquées que mollement et fort peu observées.
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Écrit par
- Solange MARIN : auteur
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