LOISIRS
Si l'on en croit les données réunies par Claude Thélot et Olivier Marchand dans Deux Siècles de travail en France, 1800-2000 (1997), la durée annuelle moyenne du travail est passée, de 1880 à 1984, de 3 006 à 1 681 heures. Doit-on dès lors, comme Roger Sue dans Temps et ordre social (1994), considérer le temps libre comme le temps dominant des sociétés contemporaines ? Il est sans doute un peu prématuré de l'affirmer. Le travail continue, malgré la baisse historique de sa durée, à structurer très fortement nos existences contemporaines, et les souffrances qu'entraîne sa privation dans des sociétés désormais frappées par le chômage de masse suffisent à le rappeler. Il est toutefois permis de s'interroger sur les conséquences de cette progression bien réelle du temps libre et du développement des loisirs.
Mais tout d'abord, qu'entendons-nous par « loisir » ? On peut ici s'en tenir à la définition ancienne donnée en 1966 par Joffre Dumazedier et Aline Ripert dans Loisir et Culture. Relèvent des loisirs toutes les activités qui réunissent simultanément les quatre caractéristiques suivantes : activités à caractère libératoire, tout d'abord, c'est-à-dire libérée des contraintes des autres temps sociaux (temps professionnel, temps domestique, temps physiologique), activités gratuites, personnelles, et accomplies pour le plaisir. Mais cette définition n'est pas exempte d'ambiguïté. Bien des activités accomplies pour le plaisir obéissent aussi à des nécessités fonctionnelles : cuisine, bricolage, jardinage. De même, chez l'étudiant ou chez le professeur, où s'arrête la lecture-travail et où commence la lecture-plaisir ?
La marche incertaine vers la société des loisirs
La progression du temps libre procède de la combinaison de trois processus historiques qui ont contribué à imposer l'idée d'une marche inéluctable vers la société des loisirs. L'industrialisation, tout d'abord, qui favorise une rationalisation des usages du temps, fondée sur une plus grande séparation des temps sociaux, là où les formes proto-industrielles d'organisation de la production reposaient sur une certaine confusion de l'espace domestique et de l'espace du travail ; l'urbanisation, qui favorise le développement de l'industrie de la culture de masse et du divertissement ; la démocratisation de l'accès aux loisirs, qui voit les classes populaires urbaines (ouvriers et employés) accéder à des distractions d'abord réservées aux élites, dans les domaines du sport, de la culture ou des vacances, notamment.
La montée du temps libre
Un certain nombre d'idées reçues entourent l'approche historique du temps libre. L'idée, tout d'abord, que la libération du temps serait une conquête intrinsèque des temps industriels. Pourtant, l'étude des sociétés archaïques nous enseigne que le temps libre y régnait en maître et que la contrainte du travail procède du raffinement des besoins de l'homme dans les sociétés modernes. Plus près de nous, l'histoire de la France rurale nous enseigne que les campagnes ont toujours été le théâtre de fêtes et de divertissements nombreux.
Le temps des loisirs traditionnels demeure toutefois étroitement imbriqué dans les autres temps sociaux (calendrier des activités agricoles et des événements religieux). Il est aussi presque exclusivement dédié à des activités de nature collectives, dans lesquelles la solidarité du groupe trouve à s'éprouver et à se renforcer. Ce qui est contemporain de la révolution industrielle, c'est ainsi l'individualisation du temps libre, la sophistication et la diversification de ses usages.
À un siècle d'intervalle, l'histoire du temps libre a connu deux grandes ruptures, selon Alain Corbin. Dans les années 1850, tout d'abord,[...]
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Écrit par
- Philippe COULANGEON : chargé de recherche au C.N.R.S., Observatoire sociologie du changement, Fondation nationale des sciences politiques
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