LOISIRS
Loisirs et inégalités
Les loisirs contemporains continuent d'être traversés par de très profondes inégalités. Ainsi, en 2004 (I.N.S.E.E., Enquête permanente sur les conditions de vie), le taux de départ en vacances est-il en France près de deux fois plus élevé chez les cadres (90 p. 100) que chez les ouvriers (48 p. 100). Ces inégalités, qui sont en grande partie le reflet d'inégalités sociales sous-jacentes, ne constituent-elles pas l'horizon contemporain des politiques du temps libre et des loisirs ?
Les loisirs : un espace de distinction
La théorie de la distinction de Pierre Bourdieu inscrit la sociologie des loisirs dans une reformulation ambitieuse de la sociologie des classes sociales, qui souligne l'importance de la dimension symbolique des rapports sociaux. La culture, les loisirs et tous les éléments constitutifs des styles de vie s'inscrivent dans des rapports de « domination symbolique ».
Globalement, la familiarité avec les loisirs cultivés et la distance à l'égard de la culture populaire et de la culture de masse opposent les classes dominantes aux classes populaires. Dans le détail, des raffinements interviennent selon la nature des capitaux détenus : les loisirs « cultivés » se rencontrent plutôt parmi les membres de la fraction « dominée » des classes dominantes, plus riche en capital culturel qu'en capital économique, tandis que la fréquentation des restaurants gastronomiques ou la pratique du golf, par exemple, se rencontrera plutôt dans la fraction « dominante », dont les dotations sont inversées.
D'après les travaux de Bernard Lahire, il semble toutefois que la pluralité des espaces de socialisation des individus, qui tend à s'accroître sous l'effet de la généralisation de l'enseignement secondaire et de la mobilité sociale, rompe aujourd'hui la cohérence que La Distinction prêtait aux attitudes, aux habitudes et aux goûts culturels, et aux loisirs. C'est aussi l'idée que défend Richard Peterson, sur le terrain des goûts artistiques, mais qui peut aisément se généraliser au domaine des loisirs dans sa globalité. Selon lui, les milieux favorisés se distingueraient désormais par l'éclectisme de leurs goûts et de leurs pratiques, contrastant avec un répertoire d'activités et de préférences plus limité dans les milieux populaires, et non par l'opposition loisirs savants/loisirs populaires. Il reste que le domaine des loisirs demeure un espace de différenciation sociale, dont les liens avec les clivages de classes semblent se maintenir.
De l'homme du travail à l'homme du loisir
Il est relativement aisé de montrer tout ce que les activités pratiquées durant le temps libre doivent aux caractéristiques socioprofessionnelles et aux conditions de travail. La conception antique de l'otium dessine d'ailleurs un continuum entre le temps du travail et le temps du loisir : les dispositions mises en œuvre dans l'un sont souvent parentes de celles qui opèrent dans l'autre. L'idéal du loisir « cultivé » ne prolonge-t-il pas, chez les membres des professions intellectuelles, les aptitudes inhérentes à la détention d'un capital culturel élevé dans des activités effectuées pour le plaisir (lecture, théâtre, opéra, concert, etc.) ?
De même, bien des loisirs populaires, comme le jardinage ou le bricolage, que les statisticiens de l'I.N.S.E.E. rangent d'ailleurs de manière fort révélatrice dans la catégorie des « semi-loisirs », faute pour ces activités de satisfaire pleinement au critère de motivation purement hédoniste, manifestent l'importation, dans la sphère des loisirs, de dispositions acquises dans l'expérience du travail. Richard Hoggart, en particulier, a souligné l'importance du jardinage, dans la définition de la culture ouvrière. Ces pratiques sont financièrement[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Philippe COULANGEON : chargé de recherche au C.N.R.S., Observatoire sociologie du changement, Fondation nationale des sciences politiques
Classification
Médias
Autres références
-
CONSOMMATION - Dépenses de consommation
- Écrit par Nicolas HERPIN et Daniel VERGER
- 5 741 mots
...uniformise sur le territoire les pratiques de consommation. Les goûts alimentaires, formés dans l'enfance, fidélisent le mangeur adulte aux productions locales. Les loisirs restent organisés selon les rythmes collectifs, dont le sens a pu changer mais dont la saisonnalité perdure, programmant la période des déplacements... -
CORBIN ALAIN (1936- )
- Écrit par Michel DELON
- 1 123 mots
...de la terre, Albin Michel, 1990) ou dans l'analyse d'un fait-divers sanglant en Dordogne en 1870 (Le Village des cannibales, Aubier, 1990). La grande ville, au contraire, est le lieu où se fonde une culture nouvelle des loisirs. Le Territoire du vide (Aubier, 1988) montre le renversement qui... -
CRIMINOLOGIE
- Écrit par Jacques LÉAUTÉ
- 8 854 mots
- 1 média
L'extensiondes loisirs, caractéristique de la société moderne, a conféré au problème de l'emploi du temps des périodes non productives de la vie humaine une importance criminologique nouvelle, sensible pour les adultes, et, plus encore, pour les jeunes délinquants. Dès les années cinquante, les criminologues... -
FOURIÉRISME
- Écrit par Simone DEBOUT-OLESZKIEWICZ
- 4 186 mots
...juste inspirer une théorie des loisirs. Or, pour Fourier, il s'agissait d'unir activités utiles et plaisirs, de telle sorte que la distinction travail-vacances s'efface. L'effort sur soi, analogue aux peines librement consenties du chasseur ou de l'artiste, tend à la maîtrise des dons individuels... - Afficher les 16 références