LÓPEZ DE ÚBEDA FRANCISCO (XVIe s.)
Sur le médecin qui exerce dans les milieux courtisans et qui place ostensiblement son livre, La Narquoise Justine (Libro de entretenimiento de la picara Justina, 1605), sous la protection du tout-puissant favori de Philippe III, Don Rodrigo Calderón, on ne sait rien de plus que ce que son œuvre nous apprend. Celle-ci est un produit hybride. D'une part, elle est l'une des premières à s'afficher comme picaresque : Justine se veut la réplique féminine de Guzmán de Alfarache (La Vie de Guzman d'Alfarache, de Mateo Alemán, avait paru en 1599), qu'elle est censée épouser en troisièmes noces au terme d'une suite promise et non publiée. Mais, des traits fondamentaux du genre naissant, López de Úbeda ne retient guère que l'évocation de l'antihonneur familial, poussé au noir avec délectation par ce nouveau chrétien, et l'utilisation d'un discours autobiographique dont une mise au féminin surtout facétieuse souligne l'artifice. Les considérations morales, d'une platitude provocante et parodique, font figure d'éléments rapportés.
Cette exploitation du discours picaresque dissimule en fait d'autres visées. Il s'agit en effet aussi d'une œuvre à clefs, bourrée d'allusions à l'actualité contemporaine. On y trouve notamment, sous un déguisement rustique, la chronique burlesque d'un voyage de la Cour à León. Les masques (picaresque, féminin, rustique) dont s'affuble l'auteur dénoncent son goût pour la mystification, qui relève d'ailleurs de la tradition facétieuse estudiantine ; López de Úbeda jalonne en effet l'itinéraire de Justine d'affrontements spectaculaires avec des clercs plus ou moins encanaillés. Les joutes facétieuses auxquelles ces confrontations donnent lieu constituent un élément structurant qui entre en rivalité avec ceux qui procèdent de la picaresque. De façon plus large, on trouve dans La Narquoise Justine une écriture qui s'inspire des pratiques festives et ludiques du temps (échange ritualisé de brocards, recherche de sobriquets, énigmes, compositions poétiques soumises à des règles facétieuses).
Un tel texte paraît devoir défier toute traduction. B. Barezzi, le traducteur du Guzmán, en donne pourtant une adaptation italienne (1624-1629) qui montre que le propos picaresque affiché par López de Úbeda a pu être reçu comme tel par un vulgarisateur soucieux d'exploiter le goût du public pour les nouveautés espagnoles. La version de Barezzi sert de point de départ à des adaptations allemande (1627), française (1635) et anglaise (1707), elles-mêmes considérablement remaniées.
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Écrit par
- Monique JOLY : professeur à l'Université de Lille-III (littérature espagnole des XVIe et XVIIe siècles)
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