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KRÜGER LORE (1914-2009)

Aux côtés de Gerda Taro, Germaine Krull, Lee Miller ou Claude Cahun, parmi beaucoup d’autres, Lore Krüger s’inscrit dans cette galerie de photographes femmes extrêmement talentueuses qui ont marqué l’entre-deux-guerres, et pour qui la pratique de la photographie s’est souvent accompagnée d’un engagement social et politique.

Son œuvre est pourtant restée longtemps oubliée. Elle se résume à une centaine de tirages sur papier conservés par l’artiste dans une simple valise, qu’une jeune philologue berlinoise découvre à l’occasion d’une interview en 2008, et décide de faire connaître. Une exposition est finalement consacrée à l’artiste à la galerie C/O à Berlin en 2015, six ans après sa mort. C’est cette exposition que le musée d’Art et d’Histoire du judaïsme reprend, avec une présentation enrichie, du 30 mars au 17 juillet 2016.

Le temps de l’exil

La carrière de Lore Krüger épouse sa période d’exil. Née Lore Heinemann le 11 mars 1914 à Magdebourg, elle a dix-neuf ans en 1933, lors de l’avènement du nazisme. Démise de son poste dans une banque parce que juive, sans avenir en Allemagne, elle se rend à Londres où elle commence à pratiquer la photographie. Un an plus tard, elle rejoint ses parents sur l’île de Majorque, puis prend des cours à Barcelone auprès d’Adolf Zerkowitz, un éditeur de cartes postales. Sur le conseil d’un ami suisse, elle se rend à l’automne 1935 à Paris pour étudier auprès de Florence Henri.

Là, elle se plonge dans un monde artistique en pleine effervescence. Florence Henri lui fait découvrir l’art moderne, la Neue Sehen (Nouvelle Vision) et l’esthétique issue du Bauhaus. Krüger apprécie cette « manière d’utiliser des objets apparemment ordinaires pour exprimer une autre réalité, une réalité intérieure », comme elle l’écrira dans son autobiographie (Querdurch die Welt. DasLebensbildeinerverfolgtenJüdin, 2012), même si elle déplore que cette quête ne soit, pour Florence Henri, coupée de la « triste réalité de la misère criante » des rues de Paris. Elle pratique alors le reportage avec humanisme et le portrait avec inventivité, mais s’aventure aussi dans des recherches plus abstraites avec le photogramme.

Lore Krüger partage la vie des nombreux immigrés allemands, qu’ils soient intellectuels, écrivains, communistes ou juifs. Tous ont fui le régime nazi, et ils sont nombreux à s’engager aux côtés des républicains lorsque débute la guerre civile d’Espagne. Quand elle emménage en 1936 avec sa sœur Gisela au 10, rue Dombasle dans le XVe arrondissement, elle a pour voisins Walter Benjamin, Arthur Koestler et quelques allemands brigadistes. Elle-même s’engage rapidement ; elle fréquente l’Université libre allemande, animée par László Radványi, sociologue marxiste et époux de l’écrivain Anna Seghers, et rencontre Ernst Krüger, militant communiste allemand et ancien brigadiste, qu’elle épousera à New York. « L’art était ma principale préoccupation, tout tournait autour de lui, mais la politique s’emparait progressivement de ma vie », écrira-t-elle. En mai 1940, lors de l’invasion allemande, elle est enfermée comme « étrangère indésirable » au Vél' d’Hiv, puis internée au camp de Gurs dans les Pyrénées. Après avoir vécu, avec Gisela et Ernst, cachée dans une ferme près de Toulouse pendant six mois, elle parvient le 6 mai 1941 à embarquer avec eux à Marseille pour le Mexique. Leur paquebot est arraisonné par les Hollandais et ses passagers enfermés sur l’île de la Trinité, mais tous trois parviennent à rejoindre New York.

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Écrit par

  • : responsable des collections photographiques au musée d'Art et d'Histoire du judaïsme

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