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DA PONTE LORENZO (1749-1838)

La vie aventureuse de Lorenzo da Ponte est caractéristique des difficultés rencontrées par les intellectuels italiens de la fin du xviiie siècle pour s'intégrer à une société en mutation, où le mécénat artistique vivait ses derniers beaux jours. Emmanuele Conegliano naît à Ceneda (aujourd'hui Vittorio Veneto) le 10 mars 1749, fils d'un tailleur juif, converti avec sa famille en 1763 et rebaptisé à cette occasion du patronyme de l'évêque de Ceneda, Lorenzo Da Ponte étudie au séminaire. Ordonné prêtre en 1773, il enseigne aux séminaires de Portogruaro et de Trévise. La rédaction d'un opuscule de tendance rousseauiste l'oblige à démissionner en 1776, et trois ans après il est banni de Venise pour cause d'adultère.

Établi à Dresde en décembre 1780, il découvre le monde du théâtre et s'initie au métier de librettiste en collaborant avec Caterino Mazzolà, poète officiel de la cour. En 1783, il obtient finalement de Joseph II la charge de poète du Théâtre impérial nouvellement créé à Vienne. Le séjour viennois, en dépit des querelles opposant le protégé de l'empereur au compositeur Antonio Salieri, au poète Giambattista Casti et à l'intendant des théâtres, donne à Da Ponte l'occasion de rédiger, entre 1783 et 1791, une vingtaine de livrets pour le même Salieri, Vicente Martín y Soler, Pietro Alessandro Guglielmi, Joseph Weigl et Mozart. Mais les difficultés croissantes de Da Ponte avec les milieux viennois du théâtre et ses efforts pour favoriser sa maîtresse, la cantatrice Adriana Ferrarese, lui font retirer sa charge. La mort de Joseph II en 1792 le laisse sans protecteur. Il part pour Trieste où il s'unit avec la fille d'un commerçant juif anglais, Anne (Nancy) Grahl, dont il aura cinq enfants.

En 1793, Da Ponte s'installe à Londres comme librettiste appointé du King's Theatre. Durant onze années, il va écrire ou remanier une vingtaine de livrets, notamment pour Martín y Soler, Joseph Mazzinghi, Francesco Bianchi et Peter von Winter. Ici encore ses démêlés avec le monde du théâtre lui font perdre sa charge. Après un voyage en Italie pour recruter des chanteurs, il ouvre à Londres une maison d'édition, mais, pour échapper à ses créanciers, il doit émigrer en 1805 à New York, où se trouve déjà sa famille.

Aux États-Unis, Da Ponte va jouer un rôle capital pour la diffusion de la culture italienne et pour l'introduction de l'opéra italien. Créateur d'une école (la Manhattan Academy, 1807-1811), libraire, accessoirement commerçant pendant sept ans en Pennsylvanie, il enseigne pour finir à Columbia College à partir de 1825, et publie ses Mémoires en quatre volumes, de 1823 à 1827. Au cours de la saison 1825-1826, il réussit à faire représenter Don Giovanni à New York, et ouvre même en 1833 un théâtre qui donnera des opéras pendant deux saisons. La mort le cueille encore plein de projets , à New York, le 17 aôut 1838.

La notoriété de Da Ponte aujourd'hui est essentiellement due à sa collaboration avec Mozart. Mais ses Mémoires, à condition de ne pas y chercher un document objectif sur l'auteur et sur son époque, séduisent par la vivacité de leur style et l'acuité du regard porté sur le monde de l'opéra par un observateur désinvolte. La quarantaine de livrets écrits par Da Ponte à Vienne et à Londres appartiennent pour l'essentiel au genre comique. Ils témoignent de la capacité de leur auteur à se plier aux exigences de son sujet, qu'il s'agisse d'une adaptation de Shakespeare, de Molière, de Goldoni ou de Beaumarchais, d'une intrigue proche de la farce ou d'une œuvre plus complexe, laissant sa place à l'expression des sentiments. Au modèle goldonien centré sur la peinture des milieux bourgeois se substitue un jeu distancié avec les stéréotypes de l'opéra, servi par une langue versatile qui accueille les termes réalistes, les énumérations[...]

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Écrit par

  • : professeur de langue et littérature italiennes à l'université de Paris-VIII

Classification

Autres références

  • DON JUAN

    • Écrit par
    • 5 639 mots
    Le livret de Lorenzo Da Ponte (auquel il n'est pas impossible qu'ait mis la main son compatriote très donjuanesque, le célèbre Casanova) rassemble habilement des éléments empruntés aux dramaturges antérieurs : Tirso, Cicognini et surtout Molière. On y retrouve le valet burlesque (ici, Leporello), les...