LOTTO LORENZO (1480 env.-env. 1556)
L'importance de Lotto, longtemps situé en marge des histoires de l'art parce qu'il ne s'inscrit pas aisément dans la courbe d'évolution de la peinture vénitienne, a été reconnue pour la première fois par Bernard Berenson dans une de ses études de jeunesse (1895). Bien que vénitien d'origine, Lotto, qui travailla surtout en dehors de la cité de la lagune, est un de ces indépendants qui, tels Pordenone, Romanino, Savoldo, tout en bénéficiant du rayonnement de l'art vénitien, ont trouvé dans des foyers marginaux des conditions favorables à une liberté d'expression, voire à des audaces qui sont en contradiction avec la permanence du classicisme vénitien, maintenu sans défaillance de Bellini à Titien et à Véronèse. La vie de Lotto, comme son art, laisse percevoir chez cet artiste quelque tourment profond, en contrepoint avec une vitalité débordante. Nature impressionnable, il a voulu faire son profit des influences les plus diverses : Bellini, Raphaël, fra Bartolomeo, Botticelli, Dürer, Holbein le Jeune, Corrège, Titien. Malgré l'inquiétude qui l'habite, il ne peut être rattaché au courant maniériste, car son art est robuste. Tour à tour romantique, dramatique, jovial et même non dénué d'humour, Lotto inaugure à Venise ce qu'on pourrait appeler la « peinture de tempérament ».
Un indépendant
Né certainement à Venise, issu probablement d'une famille bergamasque, Lorenzo Lotto s'est formé on ne sait où ni comment. Dès sa jeunesse, il commença une existence gyrovague ; vers 1495 déjà, il avait dû aller dans les Marches, où plus tard il travailla beaucoup ; on a supposé que son père était un négociant qui l'aurait mis en relation avec sa clientèle dans ce territoire privilégié de son activité. En 1503 il est à Trévise et en 1506 à Recanati (dans les Marches). On le retrouve à Trévise en 1506. En 1509 se situe le début d'un séjour à Rome, où il travaille plusieurs années aux chambres vaticanes. Le voici de retour dans les Marches en 1512, à Jesi et à Recanati. De 1513 à 1526, il est établi à Bergame et c'est la plus longue période de stabilité de cet homme itinérant, bien que pendant ce séjour il ait fait encore plusieurs voyages dans les Marches. Berenson a remarqué qu'il paraît y avoir eu quelque accord intime entre l'artiste et ce peuple de Bergame qui, selon des relations contemporaines, aurait été disposé au caprice et à l'humour. Après 1526, on a peine à suivre Lotto dans ses déplacements. Cette année même, il est à Venise et à Bergame, en 1527 de retour à Venise, en 1530 ou 1531 à Jesi, en 1532 à Trévise, en 1535 à Jesi, en 1538 à Ancône. C'est cette année-là qu'il ouvre un livre de comptes qui donne de précieux renseignements sur la fin de sa vie. En 1540 il est à Venise, en 1542 à Trévise, en 1545 à nouveau à Venise, en 1549 à Ancône où il réside jusqu'à 1552. Son livre de comptes porte des réflexions morales et révèle un homme passionné d'introspection : il se plaint d'être mal payé et paraît avoir eu des rapports difficiles avec ses amis, ses clients, ses aides enfin, qui ne restaient pas longtemps dans son atelier et qui souvent le volaient : Lotto ne faisait jamais ses prix lui-même et s'en remettait au commanditaire. Cependant, il ne faudrait pas voir en lui un caractériel quelque peu atrabilaire comme Pontormo ; on sait par l'Arétin que sa nature était pleine de bonté. Solitaire (ses testaments révèlent qu'il resta célibataire), il vécut pauvre malgré son travail et ses talents, toujours endetté, payant sa subsistance avec des tableaux, parfois recueilli par des couvents ou des amis. À Ancône, il dut organiser avec ses œuvres une loterie qui eut peu de succès. Vieux et indigent, il obtint en 1554 d'être accueilli comme oblat à la Santa Casa de Lorete, où il mourut.[...]
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Écrit par
- Germain BAZIN : conservateur en chef au musée du Louvre, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Médias
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