LOTTO LORENZO (1480 env.-env. 1556)
Les composantes d'une œuvre
Vasari dit que Lotto s'est formé auprès de Bellini et de Giorgione. Berenson a supposé qu'il se reliait plutôt à la famille concurrente des Vivarini, peintres de Murano, dont le chef était alors Alvise, ces artistes ayant, comme lui, beaucoup travaillé dans les Marches. Il fait observer en outre qu'on trouve dans les œuvres de Lotto les valeurs de tension entre le gothique et le byzantin qui caractérisent l'art vénitien de la première partie du xve siècle et que poursuivirent ultérieurement les peintres archaïques de Murano. En ses débuts, il paraît avoir été fortement marqué par une empreinte nordique qui reste mystérieuse et que manifestent d'indéniables parentés avec Dürer, Jacopo de Barbari, l'école du Danube (Saint Jérôme dans le désert du Louvre, 1506 ; Saint Jérôme pénitent du Castel Sant'Angelo à Rome ; Sainte Famille de la Galerie Borghèse à Rome encore) et même avec Holbein le Jeune, auquel fut attribué longtemps le Portrait de jeune homme sur fond blanc de Vienne. Annoncée par celle de Pérugin qu'il avait dû pressentir dans les Marches, l'influence de Raphaël fut décisive sur Lotto. Les fresques de l'oratoire Suardi à Trescore (1524) ou celles de San Michele al Pozzo Bianco de Bergame (1525), les cartons pour les marqueteries des stalles de Santa Maria Maggiore de Bergame (1523-1532) foisonnent de réminiscences des stanze et même de la chapelle Sixtine. En cette période heureuse, où il semble connaître un moment de stabilité à Bergame, Lotto produit pour cette ville ses plus beaux tableaux d'autels, ceux de San Bartolomeo (1516), de San Bernardino (1521), San Spirito (1521). Il anime la scène de la Sainte Conversation vénitienne, figée dans un immobilisme sacré par Giovanni Bellini, transformée en réunion aristocratique par Titien, et il en fait un centre de débats vivants, voire passionnés, auxquels participent activement la Vierge et l'Enfant dans un espace que parcourt une sorte de dynamisme qui se communique de geste en geste, de regard en regard et qui, en pleine époque maniériste, annonce le baroque. Il fait preuve d'un remarquable sens de la composition, fondé sur la liaison des arabesques vivantes ; contrairement au courant giorgionesque qui alimente l'école vénitienne, il pratique le ton local ; cette franchise de la couleur a assuré à ses tableaux une remarquable conservation qui contraste avec l'altération des œuvres de Titien. Il s'affirme en toute liberté, avec sa sensibilité frémissante, sa joie de vivre, sa tendresse spontanée, son humour, voire sa malice et son espièglerie. La composition, chez Titien, est toujours « typique » ; chez Lotto, elle est toujours imprévue. Aussi bien dans le format de la prédelle que dans la dimension du tableau d'autel, se renouveler dans chaque œuvre est pour Lotto un jeu passionnant. Il pratique vis-à-vis de l'iconographie religieuse une licence qui va jusqu'à l'irrévérence, comme dans l'Annonciation de Santa Maria sopra Mercanti à Recanati, où la Vierge tourne le dos à l'ange ; on y voit aussi un chat s'enfuir, effrayé ; mais il s'agit là, semble-t-il, d'un détail chargé de symbolisme : l'animal est l'image du diable chassé par l'ange annonçant le mystère de l'Incarnation.
Entre 1530 et 1540, Lotto paraît avoir subi l'influence de Titien, dont le tempérament est si étranger au sien, ce qui explique sans doute certaines faiblesses des œuvres de sa vieillesse, à l'exclusion des portraits. La curiosité de Lotto s'adresse à tout ce qui est objet à peindre : il s'attarde çà et là à d'admirables natures mortes ; qu'il soit urbain ou rural, le paysage chez lui est toujours observé avec amour, animé par une lumière fine, quasi eyckienne ; Lotto a le sens des[...]
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Écrit par
- Germain BAZIN : conservateur en chef au musée du Louvre, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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Médias
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