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LOTTO LORENZO (1480 env.-env. 1556)

Un nouveau sens du portrait

C'est dans le portrait que Lotto s'est montré le plus novateur. Le portrait italien avait toujours tendu vers le portrait de société, même au xve siècle où l'affirmation de l'individu restait soumise à la définition d'un type. Au xvie siècle, Titien voit toujours poser devant lui le « parfait patricien » d'une société qui de l'harmonie a fait son éthique ; quant aux maniéristes florentins ou parmesans, ils ne voient que l'homme de cour. Lotto inaugure le portrait psychologique, cherchant à pénétrer dans chaque homme qui pose devant lui ce qui lui est propre : son caractère. À côté des portraits qui lui ont été commandés, on sent que d'autres, les plus personnels, sont des effigies d'amis, tel cet Homme mélancolique qui pose la main sur des pétales de roses et sur des pervenches dissimulant un petit crâne en ivoire (galerie Borghèse, Rome). Il a même représenté un homme malade, âgé de trente-sept ans, désignant de la main son foie, siège de sa douleur ; c'est une rencontre remarquable avec un dessin de Dürer, qui atteste les affinités psychologiques des deux hommes ; on a pensé que ce pouvait être un autoportrait, ce que semble infirmer la date révélée par le style du tableau. Lotto a voulu faire des « portraits parlants » en quelque sorte « oratoires », comme seront les portraits du xviie siècle. Pour caractériser la personnalité d'un homme, il a presque toujours recours à un attribut professionnel : compas et plan de l'architecte (Berlin), statue du sculpteur (coll. Meyer, Mexico), sphère armillaire de l'astronome (galerie Van Diemen, New York), pièces de collection de l'antiquaire (Andrea Odoni, Hampton Court), arbalète du chasseur (Capitole, Rome), carte des Indes de Christophe Colomb (coll. Ellsworth, Chicago), livre commenté du professeur (palais Martinengo Salvadago, Brescia), livre de recettes du médecin (Agostino et Nicolò della Torre, National Gallery, Londres). Le livre lui sert très souvent, mais il sait en varier la signification, distinguant le livre sagement ouvert par le protonotaire (Zulian, National Gallery, Londres), de l'ouvrage feuilleté fiévreusement par ce jeune homme romantique vu dans son studio (Académie, Venise). Souvent cet attribut est symbolique ; le symbole est facile à déchiffrer quand il s'agit du crâne, qui revient plusieurs fois, de ces pétales de roses répandus sur la table du Jeune Homme de l'Académie ou de ceux que froisse dans sa main l'Homme mélancolique de la galerie Borghèse ; ils évoquent la brièveté de la vie. Mais ces attributs sont souvent hermétiques, comme le Cupidon, les deux pieds dans une balance, de l'Homme de trente-sept ans de la galerie Borghèse, le lézard du Jeune Homme de l'Académie, cette griffe d'or du Portrait d'homme du musée de Vienne, tous les signes zodiacaux ou cosmiques réunis dans le Portrait d'homme d'une collection privée de Milan ou encore le feu dans la cheminée du pseudo-Henri VIII (musée de Naples). Du point de vue formel, le portrait de Lotto part des modèles bellinesques, s'inspire beaucoup de Holbein le Jeune (ce qui le fait parfois ressembler à Moroni), mais devient vite personnel et, en tout cas, ne s'approche jamais de Titien.

<it>Double Portrait d'un homme et de sa femme</it>, L. Lotto - crédits :  Bridgeman Images

Double Portrait d'un homme et de sa femme, L. Lotto

<it>Portrait d'une dame avec une image de Lucrèce</it>, L. Lotto - crédits :  Bridgeman Images

Portrait d'une dame avec une image de Lucrèce, L. Lotto

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Écrit par

  • : conservateur en chef au musée du Louvre, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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Médias

<it>Vénus et Cupidon</it>, L. Lotto - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Vénus et Cupidon, L. Lotto

<it>La Vierge à l'Enfant avec saint Jérôme, saint Pierre, sainte Claire (?) et saint François</it>, L. Lotto - crédits :  Bridgeman Images

La Vierge à l'Enfant avec saint Jérôme, saint Pierre, sainte Claire (?) et saint François, L. Lotto

<it>Double Portrait d'un homme et de sa femme</it>, L. Lotto - crédits :  Bridgeman Images

Double Portrait d'un homme et de sa femme, L. Lotto

Autres références

  • LORENZO LOTTO, 1480-1557 (exposition)

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    Après Georges de La Tour, c'est Lorenzo Lotto, autre « reconquête » de l'histoire de l'art, qui a été mis a l'honneur à Paris au Grand Palais, d'octobre 1998 à janvier 1999, dans une rétrospective qui fut d'abord présentée à la National Gallery of Art de Washington puis à l'Accademia Carrara de...

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