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ANDREAS-SALOMÉ LOU (1861-1937)

Elle n'a voulu après elle ni tombeau ni publications posthumes. Aucune trace, pas même son nom sur une dalle, pas même les dates entre lesquelles s'encadre sa vie. Rien que les derniers échos des injures, des railleries, ou des admirations fanatiques qui accompagnèrent sa vie. On les perçoit encore, colportés par le cinéma, par les impressions hâtives que suggère une biographie futile. Et celle que Daniel Halévy qualifiait de « demoiselle excitée », dans son Nietzsche (1909), alors qu'elle était au comble de son rayonnement — mais elle ne protesta pas —, demeure trop souvent figée dans le portrait d'une amazone ou d'une suffragette, prophète de la liberté du corps féminin.

L'œuvre d'écrivain de Lou Andreas-Salomé, qui donne au moins un repère dans le temps, est imposante : vingt livres, cent vingt articles, entre 1895 et 1934. Critique littéraire — consacrée à Ibsen, aux auteurs russes, à quelques allemands — et fiction y prédominent autour d'un thème, celui de l'origine, de la constitution du « sujet », dans son identité sexuelle. Il n'est pas de création de l'imagination du romancier, de la réflexion du philosophe qui, dans l'esprit de Lou Andreas-Salomé, ne soit l'expression même du drame de son auteur aux prises avec sa propre histoire. Elle le dit en termes propres dès son Nietzsche (1894), qui fut longtemps son unique ouvrage publié en français (1932).

Ce n'est pas un simple critère de jugement, mais le résultat même de sa bataille personnelle pour s'affirmer. Chaotique, riche d'épisodes, de rencontres intellectuelles et amoureuses, celle-ci s'articule sur quelques instances génératrices d'une symbolisation. Instance du nom : cette fille d'un général russe — qui, d'origine provençale, allemande, huguenote, est âgé de cinquante-sept ans lorsqu'elle naît d'une mère plus jeune de dix-neuf ans — reçoit son surnom de Lou de l'homme qui modèle son adolescence, le pasteur Gillot, incapable de prononcer son prénom, Lolja. Mais le patronyme Andreas, elle le choisit et s'y tient toute sa vie durant, pour marquer le lien à son époux, cet orientaliste à qui elle n'a concédé qu'un mariage blanc.

De René Rilke, son cadet, rencontré à Munich en 1897, elle fera immédiatement Rainer, comme pour s'imposer dans le rôle qu'elle tiendra près de lui jusqu'à la fin : celui de quelqu'un qui délivre, de « maïeute » interprétant un personnage maternel, un double féminin, dont leur énorme correspondance retrace tous les aléas.

Comme l'association des trois noms engendre le sien propre, trois langues la situent dans son être d'exilée : le russe, l'allemand, le français. Elle en construit un langage dont l'allemand ne semble que la forme utilitaire, un langage semé de néologismes et brisé comme adhérant à une pensée venue d'ailleurs.

Trois hommes enfin, ceux qui sont nommés dans son autobiographie (Ma Vie), jalonnent cette existence et la découpent : Rilke, Andreas et Freud. La rencontre avec Nietzsche l'a longtemps rendue aussi célèbre que haïe. Elle a suscité le Zarathoustra. Mais Lou ne fait qu'y mûrir. Sa liaison de trois ans avec Rilke accompagne et permet le développement des textes où, sous la fiction, elle élabore pour son propre compte la mise en place des pulsions et la découverte de la libido comme source de la création artistique et de la ferveur religieuse.

Lorsqu'elle rencontre Freud, en 1911, Lou est dans la position tout à fait singulière de ne rien lui demander. Elle n'a pas à « apprendre l'inconscient ». Et Freud, pris sous un charme qui perce sous la pudeur de ses lettres, envisage d'en faire l'« arbitre » des discussions du groupe viennois. Lou se veut pleinement analyste et se bat avec fermeté pour la rigueur des concepts freudiens que[...]

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