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ALTHUSSER LOUIS (1918-1990)

L'œuvre posthume

Avec la publication de son autobiographie L'avenir dure longtemps, en 1992, Louis Althusser retrouva un public. Par-delà certaines ambiguïtés, il ne s'agissait pas d'un simple succès de scandale, lié au meurtre de sa femme en 1980. L'ouverture de ses archives, déposées à l'Institut Mémoires de l'édition contemporaine, et la publication de nombreux inédits ont fait apparaître au grand jour des pans largement ignorés de son travail théorique (et notamment sa confrontation avec Machiavel), modifiant ainsi notre perception de l'ensemble de son œuvre.

Les archives d'Althusser étonnent tout d'abord par la disproportion entre le peu de textes publiés par lui de son vivant et la masse d'écrits demeurés inédits. Bien plus, on ne saurait tracer de frontière nette entre les textes reconnus par Althusser et ceux qui ne le furent pas. Beaucoup ont circulé sous une forme ronéotypée sans être véritablement publiés ; d'autres ont été édités anonymement par leur auteur ; d'autres encore n'ont été publiés qu'à l'étranger ; certains enfin ont été retirés in extremis du processus éditorial, alors même qu'Althusser en avait déjà corrigé les épreuves imprimées. Si l'on ajoute à cela qu'Althusser se décrit parfois dans ses lettres, en 1963, comme un philosophe en train de rédiger ses œuvres posthumes, on est amené à conclure que la question de l'œuvre a bel et bien été au centre de ses préoccupations. Une telle impression est encore accentuée par sa correspondance privée, où se découvre un talent d'écrivain déjà soupçonné dans quelques textes théoriques. L'extrême tension du style, qui avait tant marqué les lecteurs de la Préface de Pour Marx, est ainsi à son comble dans ses lettres à Franca, une amie italienne, dont la démesure repose clairement sur l'une des dimensions constitutives du travail d'Althusser : la volonté de faire œuvre contre, mais aussi avec la folie, ou du moins sur son bord, en un vertigineux corps à corps avec le vide, qu'il s'agit tout à la fois de créer et de conjurer.

Dans cet ensemble aux frontières indécises qu'est l'« œuvre posthume » de Louis Althusser, quelques lignes de force peuvent être dégagées. La plus visible concerne sans aucun doute la dimension autobiographique. Althusser affirme avoir écrit L'avenir dure longtemps pour sortir du silence auquel l'avait condamné le non-lieu consécutif au meurtre de sa femme. Il avait toutefois déjà rédigé une première autobiographie (Les Faits) en 1976, bien avant cette tragédie. On ne peut qu'être frappé par l'écart existant entre l'entreprise autobiographique et tant de proclamations althussériennes : s'il parlait bien de lui dans la Préface de Pour Marx, c'était surtout au nom d'une génération politique, et s'il le faisait dans une interview accordée au journal communiste italien L'Unità en 1968, c'était en quelques lignes et pour simplement affirmer que la question n'avait aucune importance. Plus généralement, pour employer une formule célèbre, l'autobiographie était « introuvable » dans la théorie althussérienne des « appareils idéologiques d'État ». On peut évidemment interpréter la démarche autobiographique comme une sorte de confirmation paradoxale : la constitution du sujet imaginaire de l'autobiographie serait la preuve vivante de la puissance de l'« interpellation des individus en sujets ». Mais on peut également s'interroger sur cette coexistence d'une si profonde réflexivité autobiographique et d'un tout aussi profond refus de tout ce qui pourrait ressembler à un sujet constituant. On a souvent soutenu, sans pourtant trop y croire, qu'une œuvre ne faisait que parler de son auteur : d'une façon singulièrement tortueuse, jamais sans doute une telle affirmation[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en sociologie, U.F.R. de sciences sociales à l'université de Paris-V, président de l'association Pratiques sociales
  • : professeur de philosophie

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