SAINT-SIMON LOUIS DE ROUVROY, duc de (1675-1755)
Une œuvre océanique
Saint-Simon alla bouder à Paris et dans son château percheron de La Ferté-Vidame. Il écrira plus tard dans le Préambule des Nottes sur les duchés-pairies : « Un grand loisir qui tout à coup succède à des occupations continuelles de tous les divers temps de la vie, forme un grand vuide qui n'est pas aisé ny à suporter ny à remplir. »
C'est de cette horreur du « vuide » et de ce « goût qui est comme né avec moi pour l' histoire » qu'est née l'œuvre océanique du duc de Saint-Simon, témoin de son époque et historien de ce qui mérite d'être sauvé de l'oubli. D'impressionnantes lectures historiques ont préparé et nourri ses réflexions d'historien-moraliste. Nous connaissons, grâce à un catalogue de vente imprimé (1755), la composition de sa bibliothèque riche de plus de 6 200 volumes. Les historiens et les mémorialistes constituent la section la plus importante de la bibliothèque ducale. L'étude des dates d'impression permet de conclure que Saint-Simon commença à acheter massivement de l'histoire à partir de 1723. Pendant la trentaine d'années qui lui restent à vivre, plusieurs dizaines de milliers de pages sortiront de sa plume surchauffée. Faisant figure de survivant attardé d'un autre âge, il fera revivre, sous le règne de Louis XV dont il boude la cour, les règnes de Louis XIII et de Louis XIV dans un langage dont l'intensité et la puissance évocatrice sont restées inégalées.
L'œuvre immense de Saint-Simon fut publiée tard, du fait d'un ordre de Louis XV contresigné par Choiseul décrétant le transfert au dépôt des Affaires étrangères des « manuscrits trouvés chez M. le duc de Saint-Simon lors de son décès, en l'état où ils sont » (décembre 1760). D'une forêt de collections généalogiques, de projets de gouvernement, de mélanges diplomatiques, émergent quatre textes majeurs : les Nottes sur les duchés-pairies, le Parallèle des trois premiers rois Bourbons, les Additions au Journal de Dangeau, et, bien entendu, les Mémoires.
Les Nottes sur les duchés-pairies furent probablement compilées entre 1730 et 1733. On dirait que Saint-Simon, avant de se livrer à la rédaction de ses œuvres majeures, a d'abord éprouvé le besoin d'amasser et de classer ses matériaux dans des travaux préliminaires, dont les Nottes sont le plus monumental. Les deux mille pages de cette histoire systématique de toutes les pairies et de tous les duchés éteints ou encore « en activité » vers 1730 ont de quoi déconcerter le lecteur moderne, mais elles ont permis au futur mémorialiste de se faire la main. L'écriture éclatante des Mémoires rayonne déjà dans les pages les plus réussies, les promesses du futur s'inscrivent en filigrane dans cette œuvre-fichier touffue à laquelle le duc aura constamment recours par la suite.
Le Parallèle des trois premiers rois Bourbons, achevé en mai 1746, a interrompu la rédaction des Mémoires. Ce texte de quatre cents pages propose un parallèle plutarquien des rois Henri IV, Louis XIII et Louis XIV. Quoi de plus exaltant pour le duc, si pénétré de la « juste reconnoissance » que les Saint-Simon devaient à « leur roi », que de faire ressortir par la vertu du contraste les vertus de ce grand oublié, replacé entre son père et son fils ? D'une composition plus rigoureuse que les autres œuvres saint-simonistes, le Parallèle compare systématiquement la vie et les mœurs des trois monarques. En principe, il appartient au lecteur de juger, mais la « juste préférence » de l'auteur pour Louis XIII qui domine la triade royale ne fait pas de doute.
Les Additions au Journal de Dangeau peuvent être considérées comme le point de départ des Mémoires. Le duc de Luynes, petit-fils du marquis de Dangeau, entra en 1729 en possession du fameux Journal de son grand-père[...]
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Écrit par
- Dirk VAN DER CRUYSSE : auteur
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