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CÉLINE LOUIS-FERDINAND (1894-1961)

Longtemps après sa mort, Céline ne se laisse toujours pas ranger parmi ceux que l'on a coutume d'appeler les « classiques de notre temps ». Classiques et bien de notre époque, Camus, Malraux et Sartre – écrivains humanistes et mesurés dans leurs novations langagières – le sont depuis longtemps déjà. Giono, Gracq ou Yourcenar connaissent un même ennoblissement. Bataille même, et Artaud et Genet – hier encore clandestins et maudits – sont désormais édités dans une méticuleuse et officialisante intégralité. On a fini par amnistier, à titre posthume, Brasillach, Drieu et Pound ; on a même déterré Rebatet et Maurice Sachs. Tout Sade est en collection de poche. Céline, lui, continue de gêner : il pourrait bien être le dernier occupant de l'enfer littéraire.

Certes, depuis les années soixante-dix, universitaires et critiques, de droite et de gauche, de tradition et de modernité ont jeté sur lui un véritable dévolu – phénomène logique d'ailleurs : un auteur inclassable et insaisissable ne peut qu'engendrer les curiosités et les pulsions les plus diverses. Certes, il fut l'un des rares écrivains à connaître, de son quasi-vivant, les honneurs d'une intronisation dans ce panthéon littéraire que constitue la collection de la Pléiade, où il devrait, en trois tomes, faire pendant à À la recherche du temps perdu. Mais enfin, une partie décisive de son œuvre – les pamphlets – demeure sous le manteau. Mais enfin, même si l'on ne compte plus les ouvrages, les articles, les cahiers, les numéros spéciaux de revue qui lui sont consacrés, il faut bien reconnaître qu'il n'existe sur lui jusqu'à présent aucune monographie exhaustive ; la célèbre série des « Écrivains de toujours » ne le compte toujours pas parmi ses membres.

Surtout, l'attitude des lecteurs ne semble pas varier. Beaucoup continuent de le rejeter en raison soit de ses violences verbales, soit de ses outrances thématiques, soit de ses errements idéologiques, ou de ces trois faits réunis. D'autres l'adulent et voient en lui non seulement, avec Proust, le principal romancier français du xxe siècle, mais aussi l'un de ses témoins les plus authentiques : à une époque révulsée, ravagée par l'accélération de l'histoire et confrontée à ses propres abominations ne peut que correspondre un artiste brutal, excessif et irrationnel. Certains, enfin, tentant de faire la part des choses, admirent en lui le grand révolutionnaire du langage et de la narration, quitte à fermer un peu les yeux sur son idéologie sulfureuse, sur son antisémitisme de choc, et à donner une image tout à fait schizophrénique d'un écrivain clivé entre le bon docteur Destouches et le méchant M. Céline. C'est pourquoi il n'existe pas actuellement d'explicitation de « tout » Céline.

De Destouches à Céline

Louis, Ferdinand, Auguste Destouches – c'est à sa grand-mère maternelle, Céline Guillou, qu'il empruntera son nom de plume – naît le 27 mai 1894 à Courbevoie et cette origine ne sera pas sans conséquences sur son œuvre : tout comme la Provence chez Giono et le Bordelais chez Mauriac, la région, la faune et la langue parisienne seront les éléments fondamentaux de sa thématique et, pour une part, de son expression. Du côté paternel, Céline est issu d'une famille de petite noblesse normande, du côté maternel d'un milieu de petits artisans et commerçants bretons. Seul élément notoire de la généalogie, Auguste Destouches, le grand-père, s'est mêlé de belles-lettres et fut reçu à l'agrégation (ce représentant familial du bien-dire entre, peut-être, pour une part inconsciente, dans la subversion célinienne de la rhétorique et du style français traditionnels). Le père, quant à lui, Fernand Destouches, ancien maréchal des logis, petit employé d'une maison d'assurances et dessinateur satirique amateur, s'avère franchement[...]

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure
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