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CÉLINE LOUIS-FERDINAND (1894-1961)

Voyage au bout de la nuit

Ses études achevées, Céline est embauché par la Société des Nations (SDN), en tant que médecin hygiéniste. Il s'établit à Genève et effectue de nombreuses missions à l'étranger (les États-Unis, Cuba, le Canada, différents pays d'Europe puis l'Afrique). Durant cette période, sa femme entame une procédure de divorce : celui-ci sera prononcé à ses torts en 1926. La même année, Céline s'éprend d'une jeune Américaine, Elisabeth Craig, avec laquelle il entretiendra jusqu'en 1933 des rapports sporadiques mais intenses. Céline, en effet, a trouvé en elle l'incarnation idéale de ses fantasmes : la femme-danseuse, au corps longiligne, nerveux et racé, fait pour la passivité d'un plaisir essentiellement voyeuriste. La même année encore, il rédige la majeure partie de sa première œuvre d'importance, L'Église, pièce satirique en cinq actes, à l'inspiration largement autobiographique (à travers l'égratignage de certains milieux et personnages de la SDN, il y montre déjà une certaine verve antisémite).

En 1927, tout en restant associé à des missions ponctuelles de la SDN, Céline revient à Paris. Il ouvre un cabinet à Clichy, y assume des vacations régulières au dispensaire municipal, se préoccupe toujours de médecine sociale, écrit de nombreux articles techniques pour des revues spécialisées, conseille quelques sociétés d'industrie pharmaceutique et s'attelle, sans doute en 1929, à la rédaction d'un roman. Il continue de voyager, de se consacrer à des activités purement professionnelles, à contracter des amitiés peu mondaines et à ignorer un milieu bourgeois et artistique qui l'ignore tout autant. Bref, en 1932, personne ou presque ne connaît cet individu de trente-huit ans, d'origines modestes, autodidacte de formation et non répertorié dans le monde des lettres jusqu'à la parution d'un des grands événements d'écriture de ce siècle, Voyage au bout de la nuit.

Dès sa publication aux éditions Denoël, l'ouvrage agite et divise critiques et lecteurs. Certains rejettent avec dégoût ce qu'ils jugent être une monstruosité littéraire élaborée dans le seul et vain dessein de choquer à tout prix. La plupart parlent aussitôt de chef-d'œuvre, pour des raisons d'ailleurs diverses. Les uns, de droite, saluent en Céline un grand humaniste, doué d'un génie pamphlétaire, capable de dire crûment son fait à une civilisation oublieuse de ses valeurs et de ses vertus : parmi eux, on compte notamment Léon Daudet. Les autres, de gauche, tels Nizan et surtout Trotski, qui préfacera la traduction russe de Voyage, célèbrent le contempteur féroce des tares de la société bourgeoise : impérialisme, colonialisme, taylorisme, capitalisme... Tous, en tout cas, s'accordent à souligner les énormes bouleversements opérés par Céline en matière de style et d'expression (mélange des registres de langage, subversion de la syntaxe traditionnelle, confusion des signes de l'écriture et de ceux de l'oralité...). Bouleversements qui n'iront qu'en s'amplifiant.

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure
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