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CÉLINE LOUIS-FERDINAND (1894-1961)

Un écrivain sauvage

Voyage au bout de la nuit assure donc soudainement la publicité et la consécration d'un écrivain jusqu'alors sauvage, totalement à l'écart des cercles et tribus littéraires. Fait rare dans l'histoire artistique de l'époque, accoutumée à consacrer de grands créateurs ci-devant tâcherons et apprentis et non des hommes nouveaux aptes à faire d'un coup d'essai un coup de maître. En réalité, l'accession de Céline à l'écriture n'est pas aussi miraculeuse qu'on le fera accroire.

Quoi qu'il en soit, voilà Céline notoire. D'autant plus que, donné gagnant pour le prix Goncourt où la majorité des jurés lui ont promis leur voix, on lui préfère inexplicablement le pâlichon et oublié Guy Mazeline et on lui donne le Renaudot pour lot de consolation : scandale indirectement propice à Céline. Les journalistes prennent le chemin de Clichy, afin de connaître et de faire connaître cette bizarre trouvaille artistique et y enregistrent des épanchements et des confidences que Céline concocte de façon toujours plus subtile : le « monstre » se trouve identifié et humanisé, mais la vérité ne trouve pas toujours son compte. Il sera très souvent malaisé de la circonscrire.

En tout cas, c'est une carrière nouvelle qui s'ouvre pour l'ex-médecin. Ses droits d'auteur lui offrent davantage de liberté ; sa réussite, plus de confiance. Denoël publie, en 1933, L'Église (sans grand succès – il faudra longtemps à Céline pour comprendre que, malgré de très intimes aspirations, il n'a aucun don pour la dramaturgie –). La presse le consulte fréquemment, et même sur des thèmes extra-littéraires. Lui-même, encouragé, s'attelle à un second roman tout en continuant de voyager et de mener une vie sentimentale complexe.

En 1936, paraît Mort à crédit. Le succès public reste important, mais la critique prend ses distances : on y déplore soit des outrances langagières et thématiques, soit des égarements subjectifs et narcissiques (il s'agit du récit d'une enfance et d'une adolescence), soit surtout l'absence de critique idéologique, l'abandon de la volonté d'engagement qui constituait, pour beaucoup, la vertu essentielle de l'auteur de Voyage. C'est un fait que, dès lors, Céline, pour ce qui est de sa production romanesque, ne se préoccupera plus de faire passer des « messages » et se consacrera exclusivement à l'édification d'un style. « Ce n'est pas mon domaine, les idées, les messages. Je ne suis pas un homme à messages. Je ne suis pas un homme à idées. Je suis un homme à style », déclare-t-il en 1957. Certes.

De 1937 à 1940, l’écrivain délaisse momentanément la fiction pour rédiger quatre pamphlets qui comptent parmi les textes les plus violents, les plus délirants et les plus scandaleux du xxe siècle. Aujourd'hui encore interdits de republication, ils ne forment pas moins une part sans doute inacceptable et assez inexplicable, mais intégrante, de la personnalité et de l'œuvre de Céline. Comme le note Philippe Muray : « Quelle passion nous pousse à vouloir qu'il y ait deux Céline, un Céline impeccable, savonné, hygiénique, marionnette lustrée ressortie pour les parades euphoriques de l'avant-garde, et un Céline sordide, contaminé, définitivement enterré dans les cloaques de l'histoire ? »

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure
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