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CÉLINE LOUIS-FERDINAND (1894-1961)

Céline pamphlétaire : le délire antisémite

Rien pourtant n'aurait pu laisser entrevoir pareille chose. Médecin des pauvres, homme modeste et d'origines et de nature, écrivain généreux salué par la gauche communiste, qui aurait pu soupçonner Céline de haine raciale ? Or, fin 1936, tout en annonçant la parution prochaine de deux romans (Casse-pipe et Honny soit – futur Guignol's Band), Denoël publie un petit libelle de Céline, Mea culpa, anodin d'apparence : comme d'autres, Céline s'est rendu durant l'année en URSS ; comme d'autres, il relate les horreurs et les aberrations du stalinisme. Toutefois, à l'écart des autres, il les explicite en reprenant une vieille idée de droite : le communisme, c'est-à-dire Marx, Engels, Lénine, Trotski et les autres, n'est que l'aboutissement d'un vaste complot juif. Fin 1937, c'est la parution de Bagatelles pour un massacre, tableau apocalyptique d'une France rongée, gangrenée, vidée de sa substance par une horde de « rastaquouères » et de « métèques ». En 1938, L'École des cadavres : ce sont les éléments juifs de la finance new-yorkaise qui fomentent la guerre mondiale afin de ruiner l'Europe et de tirer profit de sa reconstruction. Enfin, Les Beaux Draps en 1941, conclusion mi-amère mi-ironique tirée de la débâcle française et vérification triomphante des prédictions annoncées.

Quelles explications apporter à un tel déploiement fantasmatique ? Comment sinon légitimer, du moins expliquer un tel discours ? Par l'opportunisme et des bénéfices à court terme ? Certainement pas. Sartre, dans La Question juive (1946), a beau accuser Céline d'avoir été stipendié par les nazis ; Jünger, dans son Journal parisien (1949 ; trad. franç. 1951), d'avoir frayé avec la Kommandantur et Otto Abetz : rien ne prouve, pour l'instant, que l'antisémite Destouches ait été un authentique collaborateur. Des témoignages contradictoires, d'ailleurs, existent, émanant d'anciens résistants ou d'intellectuels juifs. Ce qui n'excuse aucunement l'ignominie des thèses soutenues par Céline, mais les relègue au rang de la pure et simple psychopathie. Comme tente de le montrer Jean-Pierre Richard dans Nausée de Céline : « Une illumination frappe alors Céline : cette cause première, à la fois microbe de notre maladie et raison de notre nausée, il n'y a pas à la chercher très loin : elle existe parmi nous, sous notre main, familière et multiple, c'est le juif. Voici donc Céline livré, sans retenue, à toute l'extension de la névrose antisémite : névrose qui nourrit et qui répercute hors de lui l'extrême singularité de son fantasme. »

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure
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