CÉLINE LOUIS-FERDINAND (1894-1961)
Les années d'exil
Quoi qu’il en soit, la publication des pamphlets attire aussitôt à Céline des désagréments. Il abandonne les fonctions médicales qu'il occupait. En 1939, il est condamné pour diffamation. Denoël retire deux titres de la vente. Céline s'engage comme médecin à bord d'un paquebot dont l'existence est interrompue par la rencontre inopinée et brutale d'un sous-marin anglais. En 1940, il est médecin-chef au dispensaire de Sartrouville, puis, jusqu'en 1944, attaché au dispensaire de Bezons. Durant cette période, il adresse de multiples lettres aux journaux : manifestations spontanées qui ne sont jamais des demandes officielles de la presse. En 1941, il s'établit à Montmartre et s'entoure d'un cercle d'amis dont Marcel Aymé, Robert Le Vigan et le peintre Gen Paul.
En 1943, il épouse la danseuse Lucette Almanzor (1912-2019) et renoue avec la production romanesque, reprenant les projets élaborés plus tôt : Casse-pipe, chronique de ses années de régiment, et Guignol's Band, publié en 1944 (la suite de cette fiction – Guignol's Band, II :Le Pont de Londres – paraîtra de façon posthume, en 1964). Là, Céline élague définitivement les incises et les digressions humanistes qui grevaient ses œuvres précédentes. De même, il aère son écriture en la libérant des pesanteurs de la syntaxe traditionnelle, ainsi que des exigences de logique et de linéarité de la narration classique. Désormais, ce sont de simples groupes de mots espacés en même temps qu'unifiés par des points de suspension, des îlots de sens pris dans une même matière et reliés par la trame du discours. À cet égard, Guignol's Band, dès ses premières lignes, ouvre un nouveau chapitre de la littérature française moderne : « Braoum ! Vraoum !... C'est le grand décombre !... Toute la rue qui s'effondre au bord de l'eau !... C'est Orléans qui s'écroule et le tonnerre au Grand Café !... Un guéridon vogue et fend l'air !... Oiseau de marbre !... virevolte, crève la fenêtre en face à mille éclats !... »
En 1944, Céline, conscient de la défaite imminente de l'Allemagne et des dangers qu'il encourt, décide de quitter la France. Son but est de gagner le Danemark, pays neutre où il a eu la précaution de faire virer une part de l'argent que lui ont apporté ses droits d'auteur. Mais, pour cela, il doit transiter par l'Allemagne. En juin 1944, il arrive avec sa femme à Baden-Baden où, des difficultés administratives empêchant la poursuite de son voyage, il est contraint de rester. Situation d'attente relativement confortable à laquelle la débâcle allemande et le repliement du gouvernement de Vichy vont mettre fin. Céline demande alors à rejoindre Pétain et son entourage, réfugiés au château de Sigmaringen. Il y restera près de cinq mois en qualité de médecin : période riche d’expériences et de choses vues qu'il restituera dans ses chroniques d’après-guerre. En 1945, il est enfin autorisé à rejoindre Copenhague, où il séjournera, près de six ans, plus ou moins clandestinement.
Dans le même temps, en France, un mandat d'arrêt est délivré contre lui sous l'inculpation de trahison et, peu après, une demande d'extradition est adressée au gouvernement danois. En attendant que l'affaire soit éclaircie, Céline est incarcéré ; il restera durant quatorze mois en prison. Cette détention, évidemment, se révèle éprouvante, physiquement et nerveusement (Céline, par la suite, en exagérera, comme d'habitude, les conditions ; il ne faut pas oublier néanmoins les amoindrissements qu'il a subis). Toutefois, elle lui offre la possibilité de se défendre, de s'expliquer, de se justifier et, surtout, de temporiser, en attendant que tombe la fièvre de l'épuration. Bref, parce qu'il s'y est fait beaucoup d'amis et d'appuis, le Danemark sauve Céline des[...]
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Écrit par
- Philippe DULAC : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure
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