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FEUILLADE LOUIS (1873-1925)

L'œuvre de Louis Feuillade est considérable : près de cinq cents films, compte tenu d'une centaine de négatifs détruits. C'est un précurseur de cette école française du cinéma que l'on a coutume de désigner sous l'appellation de « réalisme poétique » et qui groupa des personnalités aussi diverses que René Clair (lequel fut d'ailleurs son interprète), Epstein, Feyder, Carné, Vigo, Renoir, Grémillon et même, plus récemment, Franju et Resnais, ces deux derniers vouant à l'auteur de Fantômas une admiration sans borne. « Feuillade, dit Resnais, m'a appris que le fantastique se créait bien plus aisément dans la rue, en décor naturel, qu'au studio. » Un climat fantastique greffé sur le quotidien, un imaginaire surgi du réel, telle est en effet la leçon de Feuillade, « un des maîtres du cinéma primitif, régi par les lois foraines et merveilleusement neuf, populaire, vivant » (Jacques Prévert).

Feuillade a abordé tous les genres, toutes les formes de drame ou de mélodrame (bourgeois, paysan, patriotique, historique), de comique (troupier, galant, burlesque), de féeries à la Méliès, de documents bruts à la Lumière, mais sa contribution capitale concerne le ciné-roman (ou film à épisodes). Il y a dans tout cela, à coup sûr, beaucoup de déchet. Mais aussi quelques chefs-d'œuvre : la série des Fantômas (1913), Les Vampires (1915), Barrabas (1919).

Francis Lacassin le décrit (Louis Feuillade, Paris, 1964) comme un Méditerranéen enthousiaste, catholique pratiquant, monarchiste et passionné de tauromachie. Son imagination féconde lui vaut d'être engagé chez Gaumont comme scénariste, et sa compétence technique le mène bientôt à la mise en scène. Ses ambitions tranchent sur les productions standard de l'époque : « À l'encontre de beaucoup de producteurs de cinématographie d'art, écrit Feuillade en 1910, nous pensons que la science photographique nous est aussi indispensable pour traduire nos idées que la syntaxe est indispensable à l'écrivain. » Entre mars 1913 et avril 1914, il tourne cinq films centrés sur le personnage de Fantômas, que venaient de créer Pierre Souvestre et Marcel Allain, maîtres incontestés du roman-feuilleton. Ce « conte de fées cruel, tragique et moderne » trouva en Feuillade son meilleur illustrateur. La projection des films, liée à la publication des fascicules en librairie, connut un succès considérable, que la guerre seule interrompit. Puis ce fut, dans le même style mais sur un scénario original, Les Vampires, dix films d'une moyenne de mille mètres chacun, prodigieuse fresque populaire où les surréalistes courent voir « la grande réalité de ce siècle » : une bande de criminels tient Paris sous sa coupe, et c'est une femme (Musidora) qui est à leur tête ; d'où un érotisme diffus, ténébreux, presque baudelairien. Les titres de chaque série sont d'un pittoresque échevelé : Les yeux qui fascinent, Le Maître de la foudre, Les Noces sanglantes... Ballet nocturne, repaire souterrain gorgé de trésors, maillots noirs moulant d'agréables formes féminines, têtes coupées égarées dans les placards, gants qui donnent des piqûres mortelles, bagues qui tuent, cadavres qui se promènent, disparaissent, reparaissent quand on ne les attend plus : cette chorégraphie d'un autre âge, Feuillade l'a transportée dans la France des années quinze et son décor familier, dont il a su crever la banalité — et la promiscuité — pour en dégager la poésie.

Ni Judex (1916), ni La Nouvelle Mission de Judex (1917), ni surtout L'Orpheline (1921) et Parisette (1921), autres grands films « à tiroirs » mais d'inspiration beaucoup plus faible, ne retrouvèrent l'éclat des Vampires. En revanche, Tih Minh (1918) et Barrabas, qui reprenaient l'idée de la bande de malfaiteurs omnipotents[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur émérite à l'université de Paris-I, historien du cinéma

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