GARDET LOUIS (1904-1986)
Se présentant lui-même comme « philosophe chrétien des cultures et des religions comparées », Louis Gardet était associé, à la tête de la collection « Études musulmanes » des éditions Vrin, à Étienne Gilson, l'un des tenants les plus remarquables de la « philosophie chrétienne » contemporaine issue du néo- thomisme, courant de pensée qui avait été encouragé par Rome dès la fin du xixe siècle et au sein duquel s'illustra aussi, en philosophie, Jacques Maritain. Ce dernier fréquentait Louis Gardet de vieille date et c'est auprès de lui, à la fraternité des Petits Frères du père de Foucauld à Toulouse, que le philosophe se retira durant les dernières années de sa vie. L'humanisme intégral de Maritain a marqué quelque peu les études approfondies que Gardet conduisit sur l'islam comme religion, pensée et société et dans lesquelles il revendique les concepts d'humanisme islamique, d'économie islamique, de politique islamique ; cela apparaît de manière convaincante, quoique à un niveau théorique et quelque peu intemporel, dans La Cité musulmane (Vrin, 1954). Avec les écrits de Louis Massignon à la même époque, ce livre eut une grande influence non seulement sur le jeune mouvement des Petits Frères de Foucauld mais aussi sur les nombreux appelés et rappelés français de la guerre d'Algérie.
Gardet adopte une perspective comparatiste et s'appuie toujours sur sa foi chrétienne et sur sa conviction thomiste, à la différence de Massignon, qui se montre beaucoup plus enclin aux syncrétismes et très peu philosophe, ou de Roger Arnaldez, philosophe, qui refuse le plus possible les a-priori doctrinaux. Le thomisme de Gardet le disposait à privilégier la tradition dominante dans la pensée musulmane sunnite, l'ash‘arisme, dont la place (stérilisante selon certains, tel Mohammed Arkoun) correspond en islam à celle du thomisme dans le christianisme catholique. Plus que d'autres islamologues, Gardet insiste sur l'aspect foncièrement « laïque » (non clérical) et « égalitaire » de l'idéale « théocratie » islamique. Il se plaît à souligner l'originalité des modes de penser et de raisonner musulmans : une logique à deux termes, dit-il, apparentée à la logique stoïcienne, et non la logique à trois termes ou syllogistique, qui est caractéristique de la pensée scolastique, puis européenne. Gardet étendra son comparatisme à l'hindouisme, en particulier dans les dernières années de sa vie.
En insistant sur cette variété que pratique la pensée humaine dans ses méthodes de raisonnement, il prêtait le flanc à plusieurs critiques.
On lui a reproché notamment (ainsi Maxime Rodinson) son idéalisme, en ce sens qu'il privilégierait les idées et les croyances au détriment des situations sociales et des rapports de classes. Il s'agit donc d'un orientalisme traditionnel, magistralement exposé dans Les Grands Problèmes de la théologie musulmane : Dieu et la destinée de l'homme (Vrin, 1967) et dans Études de philosophie et de mystique comparées (ibid., 1972). Louis Gardet se penchait en effet aussi, et peut-être surtout, sur la mystique musulmane depuis l'origine jusqu'à nos jours, sans admettre le moins du monde l'idée de René Guénon selon laquelle le « mysticisme » chrétien n'aurait rien à voir avec l'« initiatisme », ou « tradition » orientale, musulmane en particulier. Il souligna, trop peut-être, la difficulté qu'éprouve a priori le croyant musulman à s'approcher de Dieu : la tradition soufie, dans la perspective ash‘arite stricte, reste marginale et parfois suspecte. Gardet s'attache cependant à montrer la convergence des expériences mystiques, et de leur langage, quelles que soient les croyances religieuses qui les portent.
Philosophe, théologien, mystique et érudit, Louis Gardet[...]
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Écrit par
- Olivier CARRÉ : docteur ès lettres et sciences sociales, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques
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