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SULLIVAN LOUIS HENRY (1856-1924)

À lire les historiens de l'architecture, le nom de Sullivan (qui a pourtant peu construit) sonne comme l'emblème d'origine de la modernité architecturale américaine. Faut-il souscrire à ce jugement ?

Sullivan fait ses études au Massachusetts Institute of Technology (1870-1873) et à l'École des beaux-arts de Paris (1874-1878). À Chicago, il suivra les cours de William Le Baron Jenney. En 1879 il entre au bureau de Dankmar Adler, remarquable ingénieur, et deux ans plus tard devient son associé. Les premiers buildings de Sullivan (et Adler) sont visiblement inspirés de Richardson (style néo-roman italien) et n'offrent pas de grandes innovations. Même l'Auditorium Building à Chicago, qui le fait connaître (c'est un travail gigantesque qui prendra quatre ans, de 1886 à 1889), n'a rien du purisme rationaliste qui intéressera dans son œuvre les architectes du xxe siècle : le bâtiment n'est pas très élevé, l'extérieur (sobre et néo-roman) est radicalement opposé à l'intérieur (débauche d'ornements) qui participe de l'Art nouveau. Les premiers grands travaux de Sullivan reprennent en le radicalisant le principe de Jenney : ils avouent plus nettement l'ossature de métal (ils annoncent le mur-rideau, bien que les fenêtres soient encore en retrait par rapport aux poutres métalliques porteuses) et leur verticalité en fait les premiers gratte-ciel. Du Wainwright Building de Saint-Louis (1890-1891) au Guarantee Trust Building de Buffalo (1894-1895), la construction gagne en légèreté : les éléments porteurs sont plus fins et moins enrobés ; il y a moins de « remplissage » inutile. C'est ce principe d'économie qui incite Sullivan à réviser sa conception outrancière de l'utilisation de l'ornement : « Ce serait tout à fait pour notre bien, du point de vue esthétique, si nous renoncions complètement, pendant quelques années, à utiliser l'ornement, de manière à ce que notre pensée puisse se concentrer sur la construction de bâtiments [...] plaisants dans leur nudité », écrit-il en 1892 dans un article repris dans son célèbre Kindengarten Chats (1901). De fait, la façade du Gage Building de Chicago (1898-1899) qui lui avait été commandée par les architectes William Holabird et Martin Roche, est une étape vers la simplicité : espacement des éléments porteurs et larges bandes continues de fenêtres. Cependant, Sullivan n'a pas pu s'empêcher de décorer le rez-de-chaussée d'une frise très découpée et l'entrée d'un tympan byzantin. Malgré sa rigueur (son purisme), le fameux Carson Building n'échappe pas à cette nostalgie : le magasin Carson, Pirie and Scott, le bâtiment le plus connu et le plus moderne de toute l'œuvre de Sullivan, a été construit en plusieurs étapes, de 1899 à 1906. La façade, conçue pour donner un maximum de lumière et percée de centaines de fenêtres utilisées comme modules, l'intérieur constitué d'étages continus, la finesse des éléments porteurs en font un bâtiment résolument novateur dont l'allure n'est contrebalancée que par la stupide tour d'angle arrondie imposée par les propriétaires du grand magasin. Malheureusement, lorsque le bâtiment fut terminé on le considéra comme « démodé » et Sullivan allait être de moins en moins sollicité (il mourra pauvre et isolé) : le style demandé alors, néo-Renaissance et néo-gothique de prestige (Hunt, par exemple), fit écrire à Le Corbusier : « Écoutons les conseils des ingénieurs américains. Mais craignons les « architectes » américains. »

Après avoir visité l'Exposition internationale de Chicago pour laquelle il avait construit un bâtiment, Sullivan écrivit en 1893 : « C'est ainsi qu'on a tué l'architecture au pays de la liberté, dans un pays qui se targue d'être une démocratie, d'avoir de l'imagination,[...]

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  • : professeur d'histoire de l'art à l'université Harvard

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