LOUIS LAMBERT, Honoré de Balzac Fiche de lecture
La tentation de l'infini
Cette métamorphose tragique d'un homme encore jeune en vieillard précoce est une des illustrations du principe fondamental qui régit l'ensemble des contes philosophiques de Balzac : la durée d'une existence dépend de la puissance des désirs ou de la dissipation des idées ; dans ce dernier cas, la pensée tue le penseur. À cet égard, Louis Lambert appartient bien à la famille de ceux que la recherche de l'absolu ou de l'infini a brutalement consumés, comme Raphaël de Valentin dans La Peau de chagrin ou Frenhofer dans Le Chef-d'œuvre inconnu. Mais il les surpasse sans doute par la dimension mythologique que Balzac a voulu donner au personnage.
En effet, l'ambition du romancier est ici de lutter avec Goethe et Byron et d'imaginer à leur instar un héros animé d'un rêve prométhéen : non pas comme Faust la quête de l'éternelle jeunesse, mais celle d'une transcendance, d'un état supérieur de l'humain. Tout comme Balzac lui-même, Louis a fait sienne la théorie du philosophe Swedenborg selon laquelle « il y aurait en nous deux natures distinctes ». Ainsi qu'il l'explique à son ami, « l'ange serait l'individu chez lequel l'être intérieur réussit à triompher de l'être extérieur. Un homme veut-il obéir à sa vocation d'ange, dès que la pensée lui démontre sa double existence, il doit tendre à nourrir l'exquise nature de l'ange qui est en lui... S'il substante son intérieur des essences qui lui sont propres, l'âme l'emporte sur la matière et tâche de s'en séparer ».
L'histoire intellectuelle de Louis, sa vie idéale se résument donc à l'étude et à la maîtrise des forces qui conduisent à l'état d'ange. Y parvient-il ? C'est là toute l'ambiguïté du récit. Pour le narrateur, Louis est devenu fou à force de penser aux choses intangibles. Pour Pauline, en qui Louis a reconnu un « ange-femme », « il a réussi à se dégager de son corps et nous aperçoit sous une autre forme ».
Avec Louis Lambert, Balzac n'a certainement pas forgé le grand mythe littéraire qu'il ambitionnait ; il considérait même finalement son œuvre comme « le plus triste des avortons ». Elle n'en reste pas moins une des clés essentielles de son imaginaire, en ce sens qu'elle illustre au plus point la « passion que sentent tous les hommes vraiment grands pour l'infini », et qui est un des moteurs de La Comédie humaine.
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Écrit par
- Philippe DULAC : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure
Classification
Média