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LE ROY LOUIS (1510 env.-1577)

L'un des personnages les plus méconnus d'un groupe d'« humanistes de la seconde génération ». Le Roy, dit Regius, traîne une existence difficile, matériellement si misérable qu'elle l'amène à adresser des suppliques aux grands, sous forme d'œuvres de circonstances sans originalité. Ce personnage falot, qui semble avoir vécu sur les bords de la célébrité, en particulier dans ses relations avec Du Bellay et la Pléiade, apparaît rétrospectivement comme le plus grand helléniste français et comme celui qui a fait connaître, auprès d'un large public, les œuvres politiques de l'Antiquité. Excellent traducteur, à bien des égards supérieur aux traducteurs modernes, il a choisi essentiellement le domaine intermédiaire entre la morale (Isocrate et ses discours aux jeunes princes), la philosophie (Platon : Timée, Phédon, Banquet) et la politique (Démosthène, Platon et Aristote).

Conformément à l'usage de son époque, Le Roy regroupe sous un titre, c'est-à-dire sous un thème, un certain nombre de textes d'auteurs différents de manière à constituer une sorte de « florilège », recueil des éléments les plus adaptés, selon lui, à l'usage que peut en faire une pensée moderne. Cette pratique des textes en mosaïque renouait avec la tradition alexandrine ; c'est celle qu'on retrouve en particulier dans le premier livre des Essais de Montaigne. Elle visait à constituer une sorte d'anthologie des « bons passages » écrits par les auteurs antiques, sous une forme que Lefèvre d'Étaples et surtout Érasme avaient déjà exploitée. Moins original, mais en même temps plus respectueux, Le Roy ne se contente pas d'une collection, il traduit des ensembles plus vastes qui ne découpent jamais un texte en petits morceaux. Ses introductions et ses commentaires forment une sorte de texte parallèle, à la fois dépendant du texte grec et autonome par rapport à lui. Dans l'espace de cette marge, Le Roy jette les ébauches d'œuvres personnelles qui résulteront, plus tard, du regroupement de ses commentaires dispersés ; en particulier ceux qui concernaient La République de Platon et les Politiques d'Aristote sont repris dans divers opuscules politiques parus à partir de 1562 (Des differens et troubles..., Considération sur l'histoire française, De l'excellence du gouvernement royal).

Ce lent travail de sédimentation aboutit à une œuvre intitulée De la vicissitude, ou Variété des choses en l'univers (1575) qui, sous un titre peu alléchant, se présente comme l'une des premières tentatives en France pour élaborer une philosophie de l'histoire, telle qu'elle montre le progrès inévitable, le retour au passé impossible, le travail de l'homme essentiel par son invention et ses inventions. Il semble d'ailleurs que ce thème de l'originalité et de la possibilité de dire du nouveau après les Anciens préoccupe beaucoup Le Roy. Sur ce point, comme sur quelques autres, il n'est pas très éloigné du plus grand penseur politique français de cette époque, Jean Bodin, lui aussi complètement méconnu, alors que c'est dans l'œuvre de ce dernier que Montesquieu a trouvé l'essentiel des arguments développés dans L'Esprit des lois — y compris la fameuse théorie des climats déjà exploitée dans la Methodus ad facilem cognitionem historiae (1566) et surtout dans La République (1576) —, modèle de rigueur théorique et d'agencement des connaissances, seul équivalent français des Discours de Machiavel. Il est vrai qu'en France la théorie du droit est si peu développée avant le xviiie siècle que l'on conçoit l'oubli dans lequel sont tombés les publicistes, surtout dans la mesure où ils ont été pillés sans vergogne par leurs successeurs.

— Jean-Yves POUILLOUX

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, agrégé des lettres classiques, maître de conférences en littérature française à l'université de Paris-VII

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