LEPRINCE-RINGUET LOUIS (1901-2000)
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Physicien français ayant consacré sa vie à la physique nucléaire.
Après des études à l'École polytechnique, Louis Leprince-Ringuet – né le 27 mars 1901 à Alès – entre à l'école des télécommunications, puis intègre en 1925 les PTT où il s'occupe de câbles sous-marins. En 1929, il commence une carrière scientifique, travaillant avec Maurice de Broglie sur les rayons X. Mais, très vite, il s'intéresse au rayonnement cosmique et à l'étude des particules qui le composent. En 1936, il est nommé professeur à l'École polytechnique où il crée un laboratoire qui existe encore aujourd'hui sous le nom de laboratoire de physique nucléaire des hautes énergies.
Sa première entreprise scientifique d'envergure fut de poser la question de la nature du rayonnement cosmique : était-il composé de particules chargées ou d'ondes électromagnétiques ? Un aller et retour sur un bateau cargo entre Hambourg et Buenos Aires permit à Leprince-Ringuet de donner la réponse : en mesurant les rayons cosmiques le long de ce parcours, il met en évidence une asymétrie est-ouest, ce qui prouve qu'il s'agit de particules chargées, alors déviées par le champ magnétique terrestre. Il se consacre ensuite à l'étude de ces particules, notamment à l'Aiguille du Midi dans les Alpes. Il observe en 1936 ce que nous nommons aujourd'hui le lepton μ, qu'il appelle alors un méson. Deux ans après, ce méson sera reconnu comme une nouvelle particule par C. D. Anderson. La technique d'observation utilisée par Leprince-Ringuet consiste à visualiser le passage de ces particules dans des chambres de Wilson, enceintes pleines de gaz sursaturé où la trajectoire des particules chargées apparaît comme un chapelet de gouttelettes. Pour les identifier, il utilise, d'une part, des méthodes de mesure de l'énergie déposée par ionisation et, d'autre part, des méthodes de reconstruction cinématique des collisions avec les électrons du gaz. C'est cette dernière technique qui lui permet de mesurer la masse de la particule μ et, en 1944, de mettre en évidence un « méson lourd », de masse intermédiaire entre le μ et le proton, que nous connaissons maintenant sous le nom de méson K. C'est alors la première observation d'une particule étrange. Ces particules étranges seront étudiées par lui et ses élèves au début des années 1950, en particulier la désintégration du K en muon et neutrino. À cette époque, la technique d'observation s'est enrichie avec les émulsions photographiques dans des ballons qui viennent compléter les chambres de Wilson que Leprince-Ringuet utilise à l'observatoire du Pic du Midi (Pyrénées). Elle a permis la mise en évidence des hypérons : le Λ, le Σ0 puis le Ξ–. L'équipe que mène Leprince-Ringuet s'est maintenant étoffée et, s'il est une qualité qui lui est reconnue, c'est d'avoir bien su s'entourer. Citons simplement ici, parmi ses brillants collaborateurs, Charles Peyrou, Bernard Grégory et André Lagarrigue.
Louis Leprince-Ringuet a aussi un fort sens politique. Il s'attache au projet d'un Conseil européen pour la recherche nucléaire (qui deviendra l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire, ou Cern), et réalise tous les bienfaits de cette organisation. Il réoriente l'activité de tout son laboratoire vers le Cern et ses accélérateurs où nombre de ses collaborateurs prendront place : Peyrou deviendra directeur de la division des chambres à bulles et Grégory, un peu plus tard, directeur général du Cern. Leprince-Ringuet en est lui-même vice-président du conseil scientifique en 1956, puis président en 1964.
La technique d'observation évolue encore avec l'arrivée des chambres à bulles : ici, c'est un liquide dans lequel les particules laissent une trace comme un chapelet de bulles. Plusieurs de ces chambres sont réalisées avec le concours de son laboratoire : l'une fonctionnant à température ambiante avec des liquides tel le propane, c'est BP3 (Bulles propane 3) ; l'autre, dite chambre de 81 centimètres, réalisée à Saclay sous la direction de Bernard Grégory, est remplie d'hydrogène liquide. André Lagarrigue, après la chambre BP3, dirigera la construction d'une grande chambre à bulles, Gargamelle. C'est avec elle que sont mis en évidence les courants neutres en 1973. Cette découverte est le premier fondement expérimental de l'actuel « modèle standard des particules » et la première grande découverte du Cern.
Le rôle de Leprince-Ringuet dans la science française dépasse ce seul cadre : il est élu à l'Académie des sciences en 1949 ; il est associé à la direction du CEA (Commissariat à l'énergie atomique) en 1951. S'il a perçu et défendu l'énergie nucléaire civile comme un bienfait, il a gardé ses distances avec les applications militaires de la fusion thermonucléaire. En 1959, il est nommé professeur au Collège de France, à la suite de Frédéric Joliot-Curie, où il établit un second laboratoire, très proche de celui de l'École polytechnique. En 1966, il est élu à l'Académie française au fauteuil du général Weygand. Il entend apporter là non seulement le point de vue d'un scientifique mais celui d'un expérimentateur, de celui qui interroge la nature.
On connaît son goût de communiquer son savoir par des livres ou lors d'entretiens. Il était également passionné par l'enseignement. Non seulement il a remis à la page le contenu de l'enseignement de la physique à l'École polytechnique, mais il a complètement modernisé, en concertation avec Laurent Schwartz pour les mathématiques, ses structures, introduisant avec Grégory le travail en équipe avec d'autres professeurs et les maîtres de conférences, ébauchant ainsi le département de physique de Polytechnique.
Il serait aisé mais simpliste de croire qu'il a simplement courtisé la gloire avec talent, car il avait une forte autonomie de pensée, dont un témoignage peut être le soutien qu'il apporta à Oppenheimer lors de son procès ou la réforme de l'École polytechnique qu'il ébaucha en 1968 avec les élèves et qui lui valut un moment de perdre sa chaire.
Il meurt le 23 décembre 2000 dans sa centième année.
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Écrit par
- Henri VIDEAU : docteur ès sciences, directeur de recherche au C.N.R.S., directeur du laboratoire de physique nucléaire des hautes énergies de l'École polytechnique
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