VILLERMÉ LOUIS RENÉ (1782-1863)
Chirurgien des armées napoléoniennes (1804-1814), Villermé abandonne son métier en 1818 pour se consacrer à l'étude des questions soulevées par les inégalités sociales, notamment face à la maladie et la mort. Ses enquêtes et ses recherches à ce sujet constituent, sinon une analyse sociologique, du moins une précieuse source d'information et d'observation sur les débuts de l'ère industrielle. Les travaux de Villermé sont reconnus comme des étapes très importantes du développement de la démographie et de la statistique.
Une première étude sur les conditions de vie des prisonniers (1820), laquelle s'insérait dans un projet de réforme du régime pénitentiaire, rend Villermé célèbre. Il entreprend ensuite des études comparées de la mortalité et de la mortalité infantile suivant les milieux sociaux, desquelles il ressort que la condition ouvrière dans les villes entraîne une mortalité très supérieure à la moyenne.
Élu à l'Académie des sciences morales au moment de la réhabilitation de celle-ci par Guizot (1832), membre de la section de statistique, Villermé est chargé ainsi que son collègue Benoiston de Chateauneuf de réaliser une étude sur l'état physique et moral de la classe ouvrière. Il limite son champ d'étude à l'industrie textile, laquelle connaissait du fait de l'introduction de la mécanisation de profondes transformations, et il reçoit des subsides appréciables pour mener une enquête qui donnera lieu à un rapport de plus de neuf cents pages, le Tableau de l'état physique et moral des ouvriers dans les fabriques de coton, de laine et de soie (1840). Cette étude est caractéristique des inquiétudes que font naître les débuts d'une société industrielle et en particulier l'apparition d'une paupérisation dont la classe dirigeante redoute les excès car elle perturbe le bon fonctionnement du marché et provoque des crises.
C'est en observateur minutieux — il tenait à assister aux repas, aux loisirs des familles ouvrières autant qu'à l'organisation du travail dans les ateliers — que Villermé s'attache à répondre à la demande de Guizot. Il note quelles sont les conditions de logement, quel temps est nécessaire pour aller du domicile au lieu de travail, la plus ou moins grande dureté des conditions de travail. Il fait valoir les avantages de la grande entreprise par rapport aux petites entreprises qui, selon lui, parce qu'elles peuvent disparaître rapidement et pour n'importe quelle raison, sont créatrices de paupérisation ; il dénonce les pratiques qui incitent les ouvriers à changer d'établissement sans motif autre que des promesses de salaires plus élevés non tenues. Il faut aussi souligner la force de l'analyse de Villermé lorsqu'il considère les conditions de travail des enfants et qu'il fait clairement apparaître la responsabilité du patronat en la matière. Par contre, c'est une tout autre explication qu'il propose lorsqu'il s'agit de prendre en considération les raisons de la paupérisation et du mauvais rendement des ouvriers adultes. Il les accuse d'être alcooliques et de dilapider leur salaire, de porter de trop beaux habits les jours de fête, d'avoir des mœurs dépravées, de s'éloigner d'un ordre moral qu'ils devraient respecter.
L'ambiguïté de la situation sociale de Villermé se manifeste là, qui l'empêche de saisir la réalité de la lutte de classe à l'intérieur de l'entreprise et, dès lors, l'incite à prendre — ce qu'il ne faisait pas lorsqu'il parlait des enfants — des symptômes pour des causes. Les conclusions de cette recherche eurent une influence sur l'élaboration de la loi qui en 1841 limita le temps de travail légal des enfants.
Jusqu'à sa mort, Villermé s'intéressa aux problèmes liés à l'industrialisation[...]
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Écrit par
- Pascale GRUSON : attachée de recherche au C.N.R.S.
Classification
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