WIRTH LOUIS (1897-1952)
Né dans une famille de juifs ruraux de Rhénanie, Louis Wirth émigre aux États-Unis à l'âge de quatorze ans. Il suit à l'université de Chicago les enseignements de Thomas, Park et Burgess, et rédige en 1925 sa thèse (The Ghetto) qui devient un classique de la sociologie américaine. Dans le sillage de ses maîtres, il s'affirme très vite comme l'un des principaux chefs de file de l'école dite de l'« écologie urbaine ». Jusqu'à sa mort, Wirth déploie une intense activité tant au sein de l'université de Chicago qu'auprès des publics les plus variés. Excellent orateur, il participe à de très nombreux débats radiophoniques, contribue de façon notable à la diffusion des résultats de la recherche en sciences sociales et milite tout au long de sa carrière en faveur de l'amélioration des conditions de vie urbaine et du droit des minorités. Divers organismes publics sollicitent son expertise, en particulier sous la présidence de Franklin Roosevelt. Son action personnelle et celle de ses élèves ont joué un rôle important dans l'orientation des politiques gouvernementales en matière d'aménagement urbain et de gestion des problèmes raciaux.
La thèse de Wirth était consacrée à l'étude de la communauté juive du West Side de Chicago. Elle mettait en œuvre les outils de l'analyse écologique pour saisir, sur cet exemple particulier, les interdépendances entre les processus sociaux et leur traduction dans l'espace urbain. Lieu de la première installation des nouveaux venus, le ghetto apparaît comme une étape nécessaire sur la voie de l'assimilation. Par l'équilibre qu'il permet entre la tradition et l'adaptation, entre la tolérance et le conflit, il assure une fonction positive de relais. En préservant les modèles culturels, les institutions et les formes de sociabilité typiques de la communauté d'origine, il limite les effets désorganisateurs du « choc des cultures », au prix d'une ségrégation spatiale qui règle le jeu des proximités et des distances avec le groupe dominant. La sortie du ghetto et les parcours résidentiels ultérieurs sont les indices de changements de statuts, de comportements et d'attitudes au travers desquels s'opère l'intégration progressive des immigrés les plus anciens au sein de la société d'accueil.
« Si ces deux groupes, à savoir le plus grand et le plus petit, celui qui est dominant et celui qui est dominé, sont capables de vivre [...] dans une telle proximité, c'est précisément parce qu'ils se limitent à de simples relations extérieures », écrit Wirth à propos du ghetto. D'une certaine manière, le jugement ne vaut pas seulement pour cette forme particulière et transitoire de l'histoire urbaine, car la distance dans l'interaction est finalement constitutive de l'expérience de tout citadin. Telle est du moins la thèse que développe Wirth, à la suite de Simmel et Park, dans l'un des articles les plus célèbres de la sociologie américaine (1938). À partir d'une définition minimale de la ville par la taille, la densité et l'hétérogénéité de son peuplement, Wirth identifie les invariants du « phénomène urbain comme mode de vie » : anonymat et superficialité des relations sociales ; multiplicité et segmentation des rôles, où le citadin n'engage à chaque fois qu'une partie de lui-même ; remplacement des liens communautaires traditionnels par l'association à base rationnelle, par les mécanismes de délégation et de représentation ; développement conjoint de l'individualisme et des phénomènes de masse. Vision synthétique de ce qui fait l'essence de la vie citadine, ou généralisation contestable des particularités d'une époque et d'un pays ? Toujours est-il que le modèle proposé par Wirth représente encore aujourd'hui l'une des références majeures de la sociologie et de l'anthropologie urbaines.[...]
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Écrit par
- Yves GRAFMEYER : maître de conférences à l'université de Lyon-II-Lumière
Classification
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