BROOKS LOUISE (1906-1985)
La gloire en Europe
Lorsque Louise Brooks arrive en Allemagne, à l'automne de 1928, elle a vingt-deux ans. Ce n'est ni une grande star hollywoodienne, ni une simple cover-girl, mais une actrice en devenir, une personnalité rebelle qui mène sa vie, sa carrière, ses amours, en toute liberté. Les quatorze films qui précèdent son départ pour l'Europe seraient pour la plupart tombés dans l'oubli sans la célébrité acquise par l'actrice beaucoup plus tard. Certains ne manquent pas de qualités, comme Une fille dans chaque port (A Girl in Every Port), réalisé à la fin de 1927 par Howard Hawks pour la Fox (à qui la Paramount avait prêté l'actrice), et Les Mendiants de la vie (Beggars of Life, 1928) de William Wellman, qui sort avec succès alors qu'elle est déjà en Allemagne. En conflit avec le studio, elle a en effet accepté une proposition de G. W. Pabst, qui l'avait remarquée dans le film de Hawks, et à l'automne elle tourne Loulou (Die Büchse der Pandora) dans un modeste studio berlinois. Cette Boîte de Pandore est une adaptation d'une œuvre théâtrale de Frank Wedekind inscrite dans le courant expressionniste. Empruntant au mythe grec, l'auteur dresse le portrait d'une femme libre, instinctive, qui devient prétexte à une dénonciation de l'hypocrisie bourgeoise. Pabst en fait un cri de révolte plus violent, explicitant la charge érotique du personnage de Loulou. Admirablement servi par Louise Brooks, femme-enfant, candidement libertaire et sensuelle, le film envoûte malgré la succession de situations non réalistes. Il n'a pas été un véritable succès lors de sa sortie, sauf peut-être en Allemagne – il est vrai que les censures l'ont sévèrement amputé, réduisant sa portée subversive. La lecture des journaux de l'époque révèle que ni Louise Brooks ni le film n'ont impressionné les contemporains. En France, le pays qui donnera plus tard son impulsion au mythe, les commentaires sont tièdes, à l'exception notable de ceux du critique Jean Mitry et de Philippe Soupault.
Ces années 1928-1929 sont capitales dans la carrière de Louise Brooks. Car, si elle tourne avec Pabst ses deux chefs-d'œuvre, elle est en difficulté à Hollywood, où le parlant s'est imposé. Contestant le nouveau contrat de la Paramount, elle refuse de refaire les scènes tournées en muet pour The Canary Murder Case (1929), de Malcolm St. Clair, où d'ailleurs elle ne tient qu'un rôle secondaire. De cet incident naît la légende entretenue par le studio selon laquelle l'actrice refusait de parler à l'écran.
Louise Brooks revient donc vers Pabst pour Trois Pages d'un journal, ou Journal d'une fille perdue (Tagebuch einer Verlorenen, 1929), tiré d'un roman moralisant de Margarete Böhme qui a remporté un notable succès en 1905. Elle illumine de sa beauté sereine un film d'un amoralisme absolu, chef-d'œuvre plus réaliste mais plus subversif encore que Loulou, et curieusement moins célèbre, moins vénéré – et encore plus malmené par les censures de l'époque (il ne sera même pas distribué aux États-Unis). Après l'échec commercial et artistique de son troisième film européen, Prix de beauté (film français dirigé par l'Italien Augusto Genina en 1930), où elle est doublée selon une technique sonore défaillante, elle revient aux États-Unis sans perspectives véritables.
Louise Brooks ne tournera plus que neuf films entre 1931 et 1938, revenant au music-hall puis donnant des cours de danse dans sa ville natale. Elle vivote, devient vendeuse dans un magasin de luxe new-yorkais, se lance dans l'écriture, se convertit au catholicisme... Enfin, bénéficiant en 1954 d'une rente de William Paley (le grand patron de la télévision C.B.S.), elle s'établit à Rochester, près de la Fondation Kodak. C'est la résurrection. Son témoignage est sollicité[...]
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Écrit par
- Daniel SAUVAGET : économiste, critique de cinéma
Classification
Média
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