LEIRIS LOUISE (1902-1988)
Au côté de « l'homme de l'art » que fut Daniel-Henry Kahnweiler – comme l'a si justement surnommé son biographe, Pierre Assouline –, on ne peut manquer de citer le nom de Louise Leiris. Figure active de son temps, elle fut, plus de soixante années durant, bien au-delà d'un soutien, le vecteur dynamique et le relais absolu du célèbre marchand. Leurs vies se sont accompagnées, sur les plans familial et professionnel, et leurs noms sont indissociables. Belle-fille, collaboratrice, successeur puis légataire de Kahnweiler, Louise Leiris a consacré, comme lui, toute sa vie à la défense de l'art moderne. La collection à leur double nom, dont elle a fait don à l'État en 1984 avec son époux, l'écrivain Michel Leiris, présentée alors au Musée national d'art moderne, en même temps que l'hommage rendu au « marchand, éditeur et écrivain », témoigne de l'étroite communauté d'esprit qui les animait.
Le siècle avait deux ans quand naquit Louise Godon, d'origine berrichonne, et rien ne pouvait laisser prévoir l'étonnante aventure qui allait être la sienne. Certes, le mariage de sa mère Lucie en 1904 avec Daniel-Henry Kahnweiler, jeune Allemand âgé de vingt ans, fou de peinture et désireux de monter une galerie, décidera de son orientation ; mais c'est à la force de son caractère et à une exemplaire énergie au travail qu'elle devra de devenir cette « femme de l'art » qu'elle fut, dans un milieu si misogyne. Quelques années suffirent à Kahnweiler pour y conquérir sa place en participant à l'avènement du cubisme, mais la guerre l'en déposséda brutalement, l'obligeant à tout recommencer. Quand il ouvre une nouvelle galerie rue d'Astorg, en septembre 1920 – la galerie Simon, du nom de son associé –, il décide de recourir aux services d'une collaboratrice et propose à sa belle-fille de travailler avec lui. Ainsi Louise Leiris entre-t-elle en peinture ; elle y demeurera jusqu'à son dernier jour, le 24 septembre 1988.
C'est tout d'abord à l'ingratitude des tâches de secrétariat, d'administration et de gestion quotidienne de la galerie que la jeune Louise Godon est confrontée. Très vite, la passion l'emporte et Louise s'engage à fond pour partager pleinement avec Kahnweiler les joies comme les difficultés de l'aventure. Chez lui, à Boulogne, elle participe aux fameux dimanches qui réunissent tous les familiers de la galerie, artistes et écrivains : Masson, Gris, Beaudin, Limbour, Artaud, Salacrou, quelquefois Satie, Tzara ou Desnos. Elle y rencontrera Michel Leiris dont elle deviendra la femme en 1926 et avec lequel elle mènera maints combats d'avant-garde. Les années 1930 ne sont pas une période facile : il faut lutter chaque jour contre une économie en crise et une société avide de retour à l'ordre. Kahnweiler et Louise Leiris penchent pour le surréalisme, défendent Masson, Gaston Louis-Roux, sans pour autant abandonner les cubistes de la première heure. Avec la Seconde Guerre mondiale s'ouvre un nouveau chapitre de l'histoire des relations entre Kahnweiler et etLouise Leiris. Inquiété par le régime de Vichy, le marchand d’art se voit contraint de lui revendre la galerie qui prend désormais le nom de Louise Leiris (1940). La période de l'Occupation est tout entière consacrée à en préserver le fonds. Sa nouvelle propriétaire mène une lutte acharnée pour surmonter tous les obstacles que l'on met sur sa route. À la fin de 1945, une exposition d'œuvres rapportées d'Amérique d'André Masson marque la fin des tracas et la reprise des activités normales de la galerie, très rapidement couronnée de succès. Louise Leiris mène une efficace politique d'exportation, doublée d'une intelligente dynamique d'édition à laquelle sont mêlés les noms prestigieux de Picasso,[...]
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Écrit par
- Philippe PIGUET : historien, enseignant, critique d'art
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