Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

MATOUB LOUNÈS (1956-1998)

Lounès Matoub - crédits : Sophie Bassouls/ Sygma/ Sygma/ Getty Images

Lounès Matoub

Une voix grave et veloutée, quelques notes au banjo ou au oud, parfois des effluves de violon ou de synthétiseur... Le « protest-singer » algérien Lounès Matoub se doublait d'un crooner empruntant ses mélodies, ses intonations et ses orchestrations au chaabi, musique populaire dérivée du classicisme arabo-andalou.

Alors que la plupart des chanteurs kabyles à textes se cantonnent dans une sorte d'austérité musicale et restent souvent, à cause de cela, peu accessibles aux Européens, Lounès Matoub était de taille à captiver le public occidental grâce à son timbre rocailleux et à ses musiques nourries des fastes de la nouba. « Mais la paix renaîtra un jour / Et mes chants parmi vous célébreront à nouveau / Le printemps si cher à nos cœurs... »

Cet infatigable barde de la laïcité et de la culture berbère, qui a clamé sur tous les tons que seule la mort parviendrait à le faire taire, a été assassiné le 25 juin 1998, vraisemblablement par un commando islamiste, sur une route menant à Tizi Ouzou, où il était né quarante-deux ans plus tôt, le 26 janvier 1956.

Écorché vif, volontiers provocateur, Lounès Matoub ne mâchait pas ses mots pour dénoncer l'intégrisme et les abus du pouvoir en place. Militant du Mouvement culturel berbère (M.C.B.), puis compagnon de route du parti d'opposition R.C.D. (Rassemblement pour la culture et la démocratie), il fut une des figures de proue du « printemps berbère » de 1980 et ses chansons furent souvent interdites sur les ondes algériennes.

Une première fois, son engagement faillit lui coûter la vie lorsque, au cours des manifestations de 1988, il fut blessé de cinq balles au ventre. En 1994, il fut l'objet, quinze jours durant, d'un enlèvement par des islamistes – enlèvement dont l'authenticité fut contestée, puis rétablie après un procès en diffamation –, qu'il raconte avec moult détails dans son livre Le Rebelle (1995). Au moment où entrait en vigueur la loi sur la « généralisation de l'utilisation de la langue arabe », ce chantre du parler tamazight (berbère) n'a pu échapper au guet-apens dans lequel il avait été attiré et aux rafales de balles tirées sur lui alors qu'il était en voiture avec son épouse et ses deux belles-sœurs.

À peine un mois auparavant, Lounès Matoub enregistrait Lettre ouverte aux..., prophétique album où il s'en prend comme à son habitude à ceux qui « ...ont greffé / L'atroce grimace de la religion et du panarabisme / Sur la face de l'Algérie ». Mais où il se livre également à une sorte d'autocritique : « ...Ne m'abandonne pas / Je suis à toi, mon bourreau accoutumé ». Voire à de contradictoires déclamations : « La vérité : la répandre dans le cœur il le faut ! Rendons sa liberté au mensonge ». Pour finir sur un insondable pessimisme : « Le sort m'a dépossédé de moi-même / Il a ravagé mon corps / Je ne guérirai pas, je le sais ». Philosophe torturé tout autant que poète rebelle, lui qui fut tant fasciné par la figure du martyr, prévoyait pour cet ultime enregistrement, un succès sans précédent : « Tel est le monde sais-tu / Une fois happé, bien mort /Une maudite engeance t'affuble de prestige... ».

Dans Lettre ouverte aux..., comme dans ses précédents albums, la beauté sonore de la langue kabyle, le charisme de son grain de voix, les notes orientalo-syncopées du mandol servent de superbe écrin à ses professions de foi tumultueuses, à ses remises en questions touchantes, à sa fragilité revendiquée... Hélas ! Lounès Matoub a chèrement payé son attachement à sa langue, à sa culture, à la liberté et à l'indépendance de son pays.

— Éliane AZOULAY

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Média

Lounès Matoub - crédits : Sophie Bassouls/ Sygma/ Sygma/ Getty Images

Lounès Matoub

Autres références

  • IDIR (1949-2020)

    • Écrit par
    • 971 mots

    Le chanteur et musicien kabyle Idir fut, dans les années 1970, le compositeur et interprète de « A Vava Inouva », le premier succès international maghrébin. Il a traversé les générations et au-delà de la communauté kabyle, rallié autour de lui un public arabophone et français. Le sociologue Pierre...

  • KABYLES

    • Écrit par et
    • 6 322 mots
    • 1 média
    ...16-30 ans en 2002), reste propice à l'escalade de la violence. C'est ainsi que des émeutes ont éclaté après l'assassinat du chanteur et militant berbère Matoub Lounès, le 25 juin 1998, ou plus tard à l'occasion du « Printemps noir », vague de manifestations des jeunes, partie de Tizi Ouzou, mais étendue...
  • RAÏ, musique

    • Écrit par
    • 1 260 mots
    • 2 médias
    Les années 1990 sont marquées en Algérie par des événements sanglants qui touchent les musiciens : le chanteur de « raï love » Cheb Hasni et le poète berbère Lounès Matoub sont assassinés, le premier le 29 septembre 1994, le second le 25 juin 1998.