LOYAUTÉ
Attachements, engagements et dévouements
La loyauté à l'égard de l'entreprise met en jeu des sentiments et des attitudes qui se manifestent au-delà de l'environnement immédiat et du réseau des solidarités primaires. De même qu'elle produit des conduites en dehors du milieu où elle est requise, la loyauté résulte aussi de conditions qui débordent la vie du salarié dans son entreprise. Un salarié « satisfait », content de son travail, a de bonnes chances d'être aussi un père de famille, un citoyen « bien dans sa peau ». De même, les phénomènes de désintégration morale sont en général des phénomènes cumulatifs et systématiques. Il en va ainsi pour les états de satisfaction et de « santé » morales. L'éducation antérieure, l'équilibre affectif du sujet ont beaucoup d'importance sur la manière dont il assume ses responsabilités professionnelles.
La loyauté s'adresse donc non pas seulement aux « petites sociétés » constituées par la famille ou le groupe de travail. Elle vise, au moins implicitement, l'ordre social tout entier, ce que Bergson appelait « le tout de l'obligation ». Il a été de mode d'imaginer un agencement des loyautés qui, de l'attachement à la famille, conduisait par étapes au dévouement à la nation et à l'humanité. Bon fils, puis bon époux et bon père, le citoyen de la IIIe République ne pouvait manquer d'être bon patriote, bon artisan, bon ouvrier, bon patron. On peut souhaiter l'existence d'une hiérarchie de ces obligations – bien qu'il ne soit pas toujours facile de décider laquelle a priorité. Mais la succession chronologique dans laquelle nous en faisons l'apprentissage est loin d'être claire. Surtout, la continuité dans le processus fait problème. On peut être loyal à sa femme et à ses enfants et n'éprouver qu'une loyauté très tiède à l'égard de son pays. Inversement, le civisme peut devenir une passion si absorbante que le patriote délaisse les intérêts du particulier et néglige les obligations du chef de famille.
La loyauté nous crée des attachements et des engagements à l'égard de personnes, d'institutions, d'organisations les plus différentes. Ce que nous appelons attachements, ce sont des obligations qui vont de soi. Au contraire, des engagements peuvent nous placer devant des situations conflictuelles. Nous nous trouvons parfois en face de choix qu'on peut dire cornéliens si l'on se souvient de la situation incommode du Cid tenu de venger l'honneur de sa famille, outragé par l'insulte faite à son père, et pourtant décidé à garder l'amour de Chimène. Rodrigue entend être à la fois loyal à son père et loyal à sa maîtresse. L'amour qu'il éprouve pour Chimène est autre chose qu'une pulsion de jouissance. Son amour pour elle lui inspire dévouement et respect. Sa loyauté est faite d'un attachement spontané et d'un engagement délibéré. C'est pourquoi le conflit est implacable entre l'attachement pour Chimène et le dévouement du Cid à son père. Cependant, l'arbitrage est possible parce que Chimène ne pourrait pas estimer Rodrigue si ce dernier était assez lâche pour renoncer à défendre l'honneur de son père.
Montesquieu écrivait : « Si je savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je le rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l'oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l'Europe, ou bien qui fût utile à l'Europe et préjudiciable au genre humain, je le regarderais comme un crime. » La hiérarchie des loyautés est présentée comme si elle allait de soi. Elle est conforme aux enseignements stoïciens, à un certain humanisme chrétien et aux[...]
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Écrit par
- François BOURRICAUD : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Autres références
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ENTREPRISE - Théories et représentations
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...etc.), mais l'imprécision des mesures de performance liée au caractère collectif de la production et à ses aspects qualitatifs en limite l'efficacité. Il faut donc invoquer des mécanismes tels que la loyauté, c'est-à-dire l'identification aux buts organisationnels, pour expliquer l'efficience de la firme.... -
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...main à celle d'un esclave sinon pour l'affranchir). Pour inciter les ennemis à se rendre, les Romains surent user avec intelligence de leur réputation de loyauté, de fiabilité. D'illustres exemples étaient destinés à rappeler qu'on doit garder la foi, même envers les ennemis. Telle la réponse de Camille...