VAUVENARGUES LUC DE CLAPIERS marquis de (1715-1747)
Un humanisme héroïque
On ne trouve pas dans les œuvres de Vauvenargues le système philosophique simple et cohérent auquel il aspirait, mais on peut y déceler aisément quelques grandes lignes de force.
Tout d'abord, une mise en garde, précisément adressée à un jeune compagnon d'armes, destinataire des Conseils à un jeune homme et que confirment les Réflexions et les Maximes. En observant ses contemporains, avec autant de cruauté que les Persans de Montesquieu, Vauvenargues ne cesse de dénoncer deux écueils, opposés mais également dangereux : l'esprit de légèreté, d'abord, mieux incarné à ses yeux par un Fontenelle que par Voltaire ; si dans le domaine intellectuel la légèreté engendre le scepticisme ironique, qui est stérile, dans celui de la morale, elle tue l'énergie et l'amour de la gloire, sans lesquels les hommes ne peuvent que dormir leur vie ; les esprits légers, dont raffolent les « bonnes compagnies » et les femmes, ne sont jamais que des médiocres, si brillants soient-ils, et Vauvenargues n'est pas éloigné de voir dans la médiocrité l'antithèse absolue de la vertu ; cependant, la gravité chagrine, le rigorisme « farouche et orgueilleux » ne risquent pas moins d'étouffer la vertu. C'est nommément à La Rochefoucauld qu'il reproche de « s'être fait une gloire misérable de ne montrer que la faiblesse humaine » et aux émules trop zélés de Caton ou de Pascal de « faire une vertu qui, présumant follement de soi-même, ignore que tous les devoirs des hommes sont fondés sur leur faiblesse réciproque ». Il importe sans doute que les hommes connaissent leur faiblesse, mais il est plus important qu'ils n'en désespèrent pas, car « il y a toujours dans l'esprit des hommes une force et une grandeur » qui les rend capables de reconnaître et de faire le bien : conviction profonde et irrationnelle qui relie Vauvenargues à la grande tradition humaniste du xvie siècle, tout en lui faisant partager l'idéologie de ses contemporains, au moins dans le rejet (implicite) du dogme du péché originel.
Puis vient le plaidoyer, grave et ardent, en faveur de la dignité de l'homme et de la vie ici-bas, répondant évidemment à la tradition classique et chrétienne du siècle précédent : l'idéal humain de Vauvenargues exclut aussi nettement celui de l'« honnête homme », individu trop épris de modération pour entreprendre de grandes choses, que celui du chrétien, trop vite résigné aux limites de la condition humaine, ou trop occupé de son salut éternel pour vouloir vivre et réussir cette vie.
Le « grand homme » de Vauvenargues est capable de concevoir et se doit de réaliser une double ambition : héroïsme dans la vie personnelle, et humanité dans la vie sociale ; ne se reconnaissant de devoir qu'envers les autres et envers lui-même, il est totalement à l'abri de l'ambition d'être un saint.
Pour être un héros, il lui suffira de se laisser imposer les exigences de son cœur, car c'est lui qui dicte les « grandes pensées », inspire le dégoût de la prudence, suscite l'amour de l'effort, de la gloire et des passions, qui seules font faire de grandes choses, parce qu'elles entretiennent l'énergie et la ferveur et qu'elles aident à supporter les échecs, les injustices et les malheurs.
Pour être humain, il ne faut que toujours s'intéresser aux autres : Vauvenargues nourrissait l'ambition folle et secrète de « régner sur les esprits et de gouverner les cœurs », mais sans vouloir renoncer à la familiarité avec tous les êtres (disposition méritoire chez un homme de sa caste !) ; abhorrant le « dédain paisible que l'on nourrit de sang-froid pour d'autres hommes », il écrit même un texte admirable, Sur la compassion, que ne désavouerait pas la « sympathie » d'un héros[...]
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Écrit par
- Andrée HOF : maître assistant à l'U.E.R. de lettres et sciences humaines de Reims
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