CRANACH L'ANCIEN LUCAS (1472-1553)
Le peintre des princes-électeurs de Saxe
Appelé en 1504 par Frédéric le Sage, grand mécène allemand, qui avait déjà commandé un certain nombre d'œuvres à Dürer, Cranach s'installe à Wittenberg en 1505. Il conservera les mêmes fonctions jusqu'à sa mort sous les successeurs de Frédéric le Sage († 1525), Jean le Constant († 1532) et Frédéric le Magnanime. En 1508, le prince lui confère des armes, un serpent ailé, qui accompagne ou remplace dorénavant son monogramme sur toutes ses œuvres et devient la marque de son atelier. Cranach devient vite un personnage important de la ville, membre du Conseil, puis, à trois reprises, bourgmestre. Il achète en 1520 le privilège de la pharmacie, et, en 1528, paraît en tête sur le rôle des impôts. Ami et partisan de Luther, il imprime certains de ses ouvrages et donne, en 1521, une suite de gravures sur bois, antipapistes, le Passional Christi et Antichristi.
Il continue à recevoir des commandes de l'extérieur ; il participe avec Dürer, Baldung, Altdorfer et d'autres artistes à l'ornementation du Livre de prière de l'empereur Maximilien Ier, et le cardinal de Brandebourg, le grand ennemi de la Réforme, fait plusieurs fois appel à son talent. Mais il travaille surtout pour la cour de Saxe. Son œuvre consiste, sous Frédéric le Sage, en décorations (disparues) de châteaux, en retables (Retable de Torgau, 1509, Institut Staedel, Francfort-sur-le-Main) et en tableaux de caractère profane (Vénus et l'Amour, 1509, Ermitage, Saint-Pétersbourg ; Lucrèce, env. 1518, Coburg). Les toiles profanes se multiplient sous le règne de Jean le Constant, innombrables variantes (mais jamais répliques exactes) de quelques types : Vénus, seule ou avec l'Amour, Lucrèce, Diane ou nymphe à la fontaine, jugement de Pâris, courtisane et vieillard, etc.
Enfin, Frédéric le Magnanime demande à Cranach des œuvres pieuses, froides illustrations de la dogmatique luthérienne (La Chute et la Rédemption). À cela s'ajoute une intense activité de portraitiste ; l'artiste y déploie un talent qui apparaît mieux dans les études, tels les dix portraits conservés au musée des Beaux-Arts de Reims, où l'attention se concentre exclusivement sur le visage, que dans ses œuvres achevées.
Les raisons du changement brutal qui survient dans son style en 1505, et que révèle le Retable de sainte Catherine de 1506 (Dresde), restent d'autant plus mystérieuses que ses œuvres antérieures donnaient l'impression d'une forte personnalité. De plus, certains historiens de l'art voient dans cette rupture le début de la décadence qui va s'accentuant après 1525 alors que d'autres jugent la production des années 1505 à 1525 d'égale valeur, quoique très différente de celle des années viennoises, et l'incontestable qualité de certaines œuvres, comme la Madone de la cathédrale de Wrocław (env. 1510) ou le Portrait de jeune fille du Louvre, leur donne raison. La seule explication du changement de 1505 que l'on puisse avancer semble une réceptivité excessive aux sollicitations du milieu, milieu de formation artistique médiocre, qui a entraîné également la décadence finale.
On a invoqué l'isolement de Wittenberg, l'absence d'émulation et de concurrence. Mais ce facteur n'a pu jouer que progressivement, d'autant plus que Cranach est resté en contact avec la vie artistique de son temps : c'est ainsi qu'il continue à s'inspirer des gravures de Dürer ; un voyage en Flandres, à la fin de l'année 1508, marque ses œuvres ultérieures, et le traitement de certains sujets mythologiques se rattache à des modèles italiens. Toutefois ces emprunts, de plus en plus superficiels, n'assurent pas un renouvellement de son art.
L'indifférence aux problèmes, alors si actuels en Allemagne, de la composition, du groupement, de l'espace[...]
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Écrit par
- Pierre VAISSE : professeur d'histoire de l'art à l'université de Genève
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